VOLUME 13-14 : 1992-1994

Le point culminant de la visite officielle de M. Rabin en Pologne a été une réunion commémorative sur le site du camp de la mort d'Auschwitz. S'adressant à des milliers de jeunes Juifs d'Israël et d'autres pays, venus en Pologne pour participer à la "Marche des vivants", le Premier ministre israélien a déclaré :

Chaque poignée de terre dans ce lieu maudit est trempée dans le sang des assassinés. Toutes les cabanes, si silencieuses aujourd'hui dans ce lieu terrible, ont entendu les cris des torturés. Chaque mur de ce lieu enfermait les corps émaciés de nos frères dans ses épines, et le vent portera à jamais la fumée des crématoires.

Face à la faim, à la solitude, à l'humiliation, au froid et à la torture, qui aurait pu agir autrement ici ? Ils ne sont pas allés à l'abattoir comme des agneaux. Un peuple désespéré, un peuple abandonné, un peuple solitaire, a trouvé sa mort en ce lieu même.

Cinquante ans plus tard, et toujours leurs cris résonnent dans nos oreilles, et bien que le puits des larmes ait séché depuis longtemps, nous n'oublions pas, et nous ne pardonnons pas.

Les yeux de nos frères, larges de peur, quittant le pays des vivants dans l'ignorance de leur crime, le regard sans vie cherchant encore le salut qui ne viendrait pas ; leurs cris, leurs larmes, leurs pleurs silencieux nous pénètrent encore à ce jour.

Depuis lors, et pour l'éternité, nous serons à l'ombre du pire crime de l'histoire. Partout où nous marchons, dans toute la terre d'Israël, le souvenir de l'Holocauste, son traumatisme, son oppression et sa leçon nous accompagnent sur notre chemin.

Nous n'avons pas été brisés. Face à l'impuissance de ce lieu face à ce terrible désespoir et aux processions vers les pelotons d'exécution, les potences, les chambres à gaz et les crématoires - et pourtant le peuple d'Israël survit.

Nous nous sommes relevés de la poussière des victimes et nous avons établi une nation et un peuple de fibre morale, de culture et d'esprit, de force militaire.

Cinquante ans plus tard, nous avons aujourd'hui suffisamment de forces et de pouvoir spirituel pour résister aux épreuves du temps, pour affronter nos ennemis, pour construire une maison et pour offrir un abri aux persécutés. Nous avons en nous la force et la volonté de frapper le mal - ainsi que la force et la volonté de tendre la main vers la paix et vers nos ennemis.

Les cendres de nos frères appellent de cette terre terrible. Vous nous manquez. Votre cœur juif nous manque, l'amour de vos mères, les rires de vos enfants. L'histoire n'a pas eu pitié de vous - pour vous, la fondation de l'Etat d'Israël est arrivée trop tard. Il ne nous reste plus qu'à exécuter vos ordres. Ceux que vous avez murmuré sur cette "rampe" qui vous a conduit à votre mort. Celles écrites sur les murs de ces cabanes, dans votre sang. Ceux qui sont sortis de vos cris dans les chambres à gaz. Ceux qui vous ont accompagné jusqu'à votre mort silencieuse dans les fours. Tant que notre esprit est encore avec nous, tant que la nation d'Israël vivra, cette terrible tragédie ne se reproduira jamais. Nous protégerons tous les Juifs partout. Notre sang ne sera plus versé inutilement.

Je parle ici au nom du peuple d'Israël, et avec moi se tiennent ici les survivants arrachés aux flammes, et qui ont réussi à rentrer chez eux. Je parle ici au nom des enfants qui ont construit leurs maisons - des maisons qu'on ne connaîtrait jamais.

Au nom des combattants d'Israël, je salue ces pierres silencieuses. Ces cendres. Je vous salue, vous qui n'avez pas vécu pour nous voir accomplir le drame des générations.

"Que la terre ne couvre jamais leur sang - et que leurs cris ne trouvent jamais de répit."