La guerre 1947-1948 puis l'indépendance provoque le départ d'environ 700 000 Arabes1 vivant sur les territoires israéliens.

Il s'agit là d'un des derniers déplacements de population qui de la Pologne à la Tchécoslovaquie ou l'Allemagne en Europe ont touché près de 10 millions de personnes après la Seconde Guerre mondiale ; ou en 1947 concerne plus de 14 millions de personnes entre l'Inde et le Pakistan.

Si la réalité de cet exode (la Nakba) n'est pas discutée, ses causes continuent d'alimenter la controverse.

 

Certains soutiennent que les pays arabes, par la voie des radios et de la presse ont poussé les Arabes à l'exil en attendant la reconquête de la Palestine.

Pour d'autres, il s'agit d'une vaste opération d'expulsion. C'est le nouvel État qui avec le plan D(alet) a, soit expulsé (villages de Lydda et Ramla), soit terrorisé les populations civiles (massacre de Deïr Yassin) afin qu'elles évacuent leurs villages. Sans chercher à tout prix un équilibre qui n'existe peut-être pas, les deux versions ne sont pas forcément exclusives l'une de l'autre.

 

Exode de Palestiniens en 1948

 

Il est quasiment certain que la guerre et son lot d'atrocités ont dû pousser les Arabes habitant des zones dominées par les forces israéliennes à trouver un refuge dans des zones plus sûres. Les Israéliens, même en dehors de tout plan, préféraient des territoires où le nombre d'Arabes, par nature hostiles au nouvel État seraient moins nombreux. Enfin il est averé que les notables arabes avaient évacué la zone avant la guerre en mettant leurs biens à l'abri.

Les Juifs après les épreuves de la seconde guerre mondiale en Europe sont de nouveau chassés à partir des années 50 de tous les pays arabes, leur exode concernant là aussi entre 700 000 et 900 000 personnes. Les années 1975 verront les exodes massifs de vietnamiens, de cambodgiens, de libanais etc... Tous ces réfugiés ont refait leur vie dans leur pays d'accueil et leur descendance n'est pas réfugiée elle même, sauf exceptions.


La Nakba

La Nakba désigne pour les Arabes, la catastrophe que constitue pour eux l'indépendance d'Israël et l'exil des Arabes de Palestine.

Le terme Nakba, apparaît sous la plume de Georges Habib Antonius en 1938 dans son livre 'Le réveil arabe' en référence à 1920.

« L’année 1920 porte un nom maudit dans les annales arabes : on l’appelle l’Année de la Catastrophe (Am al-nakba). Elle vit les premiers soulèvements armés qui eurent lieu pour protester contre la colonisation d’après-Guerre, imposée aux pays arabes par les Alliés. Cette année-là, de graves révoltes eurent lieu en Syrie, en Palestine, et en Iraq. »

Le terme est repris en 1948 pour qualifier l'exode et plus largement la destruction de la société arabe de Palestine.

Ce même dirigeant arabe palestinien, rencontrant Ben Gourion en 1936 affirmait1 :

« La question primordiale pour nous, Arabes de Syrie aussi bien que de Palestine, c'est l'unité de la Syrie jusqu'au Sinaï. Nous formons un seul pays »

1 Charles Enderlin, « Par le feu et par le sang », 2008


 Pour Benny Morris1,

"il n’y a pas eu de messages radiodiffusés arabes pressant les Arabes de fuir en masse ; en fait, il y a eu des messages diffusés par plusieurs stations de radio arabes les appelant à rester sur place. Mais, au niveau local, dans des dizaines de localités de Palestine, des dirigeants arabes conseillèrent, ou ordonnèrent l’évacuation de femmes et d’enfants, ou de communautés entières, comme cela se produisit à Haïfa, fin avril 1948. Le 22 avril, le maire de Haïfa, Shabtai Lévy, parlementa avec eux pour qu’ils restent, sans résultat.

Le même Benny Morris écrit aussi :

"Un État juif n’aurait pas pu être créé sans déraciner 700 000 palestiniens. Par conséquent il était nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population."2

 

Pour l'historien palestinien Walid Khalidi,

Un des thèmes favoris était celui de la propagation de maladies côté arabe. Le 18 février, Radio Haganah annonçait que des cas de variole avaient été décelés à Jaffa, suite à l'arrivée des Syriens et des Irakiens. Le même jour, elle révélait que parmi les morts et les blessés arabes, tombés au combat, plusieurs étaient atteints de "maladies contagieuses ".3

Selon l'ancien Premier ministre syrien (en 1949) Khaled Al-Azam,

"Nous avons appelé le malheur sur les réfugiés en leur demandant de quitter leurs foyers4

Le 15 mai 1948 le Premier Ministre d’Irak déclara à la presse à Bagdad :

"Nous écraserons le pays avec nos fusils et nous détruirons tout lieu où les Juifs chercheront refuge. Les Arabes devront emmener leurs femmes et leurs enfants à l’abri pendant le danger, après quoi toute la Palestine sera à eux."

Les 18 et 24 mars 1948, le recteur de l’université d'Al-Azhar au Caire déclara :

 " Nous jetterons à la mer les bandes de sionistes criminelles et il ne restera plus ainsi un seul juif en Palestine. Pour que nos armées victorieuses puissent accomplir leur mission sacrée sans s’exposer à faire des victimes parmi nos frères arabes, il faut que ceux-ci quittent provisoirement le pays, afin que nos combattants exercent, dans une liberté totale, l’œuvre d’extermination."

Le 16 mai 1948, le haut commandement des volontaires arabes pour la libération de la Palestine lance cet appel à Radio Le Caire :

"Frères arabes de Palestine, nos armées libéreront en quelques jours le territoire sacré profané par les bandes criminelles athées. Afin que les Juifs, mille fois maudits par Allah, ne se vengent pas sur vous avant leur anéantissement total, nous vous invitons à être nos hôtes. Les Arabes vous ouvrent leurs foyers et leurs cœurs. Nous vaincrons les infidèles, nous écraserons les vipères. Votre patrie, purifiée par vos frères, vous accueillera à nouveau dans la joie et l’allégresse." 5

Au total en 1948, entre 700 000 et 900 000 personnes sont devenus des réfugiés, (dont 127 600 enregistrés à l'UNRWA en 1950 ) devenus près de 5,2 millions cinquante ans plus tard. En 2015 seuls 2,9 % des Palestiniens en exil sont nés en Palestine mandataire.

1 Israel and the Palestinians, in Irish Times du 21/02/2008

2 Interview le 8 janvier 2004 par Arie Shavit pour Haaretz lors de la parution de son livre : the birth of the palestinian Refugee problem cité notamment par Dominique Vidal in Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947 - 1949)

3 Extrait de Plan Dalet : Master Plan for the Conquest of Palestine in La Nakba, émission France culture, Maïwen Bordon, 15/05/2018

4 Mémoires, cité in Israël peut-il survivre, Michel Gurfinkel, ed Hugo&Cie p102.

5 Pour ces trois déclarations, Jean-Marc Moskowicz sur le site Europe-Israël 20/05/2014 consulté le 20/01/2017.


Réfugiés : quelques comparaisons..

En 2016, hors palestiniens, il y a 17,2 millions de réfugiés, 2,8 millions de demandeurs d'asile et 40,3 millions de personnes déplacées soit au total 61,2 millions de personnes forcés à l'exil dans le Monde, selon le HCR. Les réfugiés palestiniens sont environ 5,2 millions en 2016

Du fait du mode de comptabilisation de l'UNRWA, spécifique aux Palestiniens (tous les autres réfugiés dépendent du HCR) qui inclut leurs descendants, le nombre de réfugiés palestiniens s'élève, 70 ans après la guerre de 1948 à 5,2 millions, dont moins de 3% (pas plus de 30 000 selon Jonathan Schanzer1 en 2014) ont connu la terre dont ils sont censés être réfugiés, ce qui n'a plus beaucoup de sens. Ce nombre, cas unique s'agissant de la prise en compte de descendants de réfugiés, croit d'année en année.

Par exemple au Liban, on ne compte effectivement que 0,2 % de palestiniens nés en Cisjordanie et à Gaza en 1991, selon le Palestinian Central Bureau of Statistics, sur les 450 000 palestiniens y résidant. Quelques dizaines de milliers de palestiniens sont arrivés de Jordanie à la suite de Septembre Noir et se sont installés au Liban. Une partie d’entre eux sont repartis lorsque l’OLP a quitté le Liban.

A titre de comparaison les réfugiés d’Éthiopie qui étaient 2,5 millions en 1980 n'étaient plus que 251 000 en 1991, ou Afghans 6 millions en 1991 mais 2,6 millions en 2015.

Le problème des réfugiés qui dans tous les autres cas se résout avec le temps par l'insertion est entretenu pour les Palestiniens, tant par les pays arabes qui n'accordent pas la nationalité aux Palestiniens, à l'exception de la Jordanie, que par les Nations unies. Enfin pour comparaison aussi, les réfugiés ou déplacés syriens étaient 12,3 millions réels au 30 septembre 2016 selon le HCR.

Le journaliste américain Daniel Pipe2 estimait dans un article écrit en 2012 qu'il restait en vie environ 150 000 palestiniens arrachés à leurs foyers. Il conclut l'article par une citation de l'auteur Steven J.Rosen «  tous les hommes seront tôt ou tard des réfugiés palestiniens » 3

1 Vice-président chargé de la recherche à la Foundation for Defense of Democracies et auteur de Hamas vs. Fatah: The Struggle for Palestine. 21 mai 2012 in Foreign policy.

2 du très pro-israélien de droite Gateston Institute.

3 Daniel Pipe, the Washington Times 21 février 2012


La question de l'expulsion ou non taraude dès le 24 juillet 1948 le secrétaire de la Histadrout, la puissante centrale syndicale, qui interpelle ainsi le gouvernement :

"La question n'est pas de savoir si les Arabes vont revenir ou non. La question est de savoir si les Arabes ont été expulsés ou non (…). C'est important pour notre avenir moral (…). Je veux savoir qui est en train de créer des faits accomplis et si les faits sont créés à partir d'ordres."1

Parallèlement, le nouvel État forge son identité en effaçant les traces et lieux de vie des habitants arabes.

Ainsi , 2

à peine les villages sont-ils vides qu’ils sont systématiquement détruits.

Dès juin 1948, ces démolitions prennent le caractère d’une mission politique pour bloquer le retour des réfugiés. À la fin de 1948, les pressions internationales en faveur de ce retour augmentent et, en mai 1949, le gouvernement prend la décision de liquider tous les villages restant ( différents chiffres sont avancés : B. Morris [1987] parle de 369 localités ; d’autres auteurs palestiniens en recensent jusqu’à 480. W. Khalidi [1992 : XIX] en dénombre 418, dont 382 villages quasiment anéantis. Seuls 7 villages sont restés presque intacts et ont été repeuplés par des habitants juifs).

Pour Ghazi Falah [1996],

"c’est précisément cet anéantissement concerté et méthodique du paysage palestinien – par opposition à une destruction qui serait la conséquence des affrontements– qui autorise à qualifier le conflit de 1948 de guerre totale. Dans une recherche minutieuse portant sur l’effacement de la culture matérielle palestinienne, il relève que ce sont les lieux de vie et les structures à même de révéler le passé palestinien qui disparaissent : lorsque des bâtisses restent debout, ce sont des écoles (souvent construites par les anglais), des khans (caravansérails), des monastères (directement liés à des pays européens) ou des beaux bâtiments considérés comme non arabes (émanant du temps des croisades)."

Ces destructions s’accompagnent de la construction intensive d’exploitations agricoles : 170 exploitations sont bâties entre 1948 et 1949, 130 l’année suivante (soit 300 en moins de trois ans. À titre de comparaison, 243 colonies agricoles avaient été construites durant les soixante-six années d’immigration juive en Palestine ayant précédé l’établissement de l’État d’Israël [Benvenisti 2000].) Quant à celles qui existent déjà, elles sont agrandies en prenant sur les terres des villages arabes voisins. Ces colonies ont une importance militaire et politique d’autant plus capitale qu’elles sont principalement édifiées dans les zones supposées appartenir à un État arabe, selon le plan de partage des Nations unies de 1947.

Le plan Daleth, rédigé par la Haganah prévoit ainsi :

"Ces opérations peuvent être exécutées de la façon suivante : soit en détruisant les villages ( en y mettant le feu, en les faisant sauter et en posant des mines dans les décombres), notamment ceux qui sont difficiles à contrôler de manière permanente ; soit en montant des opérations de ratissage et de contrôle conformément aux directives suivantes : encerclement des villages, recherches à l'intérieur. En cas de résistance, les éléments armés seront éliminés3 et la population expulsée hors des frontières de l'État." 4

En 1948, 8,2% des Palestiniens sont demeurés en Palestine devenue Israël, 30,8% sont placés sous souveraineté égyptienne ou jordanienne et les 61% restant peuplent 57 camps de réfugiés ainsi répartis : 15 au Liban (14%) des réfugiés, 10% en Syrie (9%), 24 en Jordanie (55%) et 8 dans la bande de Gaza (22%) 5

1 Nadine Picaudou:Les Palestiniens..p.116

2 Effacer la Palestine pour construire Israël, transformation du paysage et enracinement des identités nationales. Édition EHESS. Christine Pirinoli. Etudes Rurales.2005. N° 173-174 p67 à 85.

3 ou, "la force armée doit être détruite", selon une autre traduction

4 Ilan Pappe, le nettoyage ethnique de la Palestine et le livre de la Haganah y. Slutsky 1972 vol 3.

5 Elias Sambar, op. Cité p.47