Le nom de Ketef Hinnom, l'épaule en hébreu, désigne une nécropole antique implantée au pied de l’ancienne ville de Jérusalem. Ce site a livré ces dernières années un patrimoine d’une richesse exceptionnelle et d’un intérêt historique certain, notamment pour l’étude de la Bible hébraïque.

 

Les fouilles dans la vallée de Ketef Hinnom

(D’après l’article de Wulfran Barthelemy. Ketef Hinnom ou le trésor de Jérusalem. Histoire Antique et Médiévale, 2015, 82, pp.54-61. hal-0126546)

En 1979, des fouilles conduites dans la vallée de Hinnom livrèrent une collection d’objets antiques d’une valeur inestimable, la plus riche jamais trouvée à Jérusalem. Parmi ceux-ci, on trouva deux minuscules rouleaux d’argent portant de brèves inscriptions qui ressemblaient étrangement à des versets de la Bible hébraïque. Ces objets hautement précieux sont depuis lors considérés comme les plus anciens documents connus assimilés à des extraits bibliques.

 

La cité historique de Jérusalem est bordée par un ravin étroit, la vallée de Hinnom (ou de la Géhenne, en français) qui contourne partiellement la colline de Sion. Elle s’amorce à l’Ouest de l’ancienne ville, puis se dirige vers le Sud et vers l’Est pour rejoindre les petites vallées du Tyropéon et du Cédron. Cette dépression pénètre dans la roche calcaire en formant des parois accidentées qui entourent le fond occupé par une prairie. Sur le versant sud-ouest de la vallée, un édifice contemporain se dresse depuis 1927 : l’église écossaise Saint-André, dont le chevet surplombe la vallée de Hinnom.

Dans la tradition judéo-chrétienne, la vallée de la Géhenne a mauvaise réputation. Elle est citée dans l’Ancien Testament sous le nom énigmatique de « vallée du fils de Hinnom ». Les habitants y sacrifiaient leurs enfants par le feu (Jérémie 32, 35), le roi Josias en fit une décharge publique (2 Rois 23, 10) et on y enterrait les défunts (Jérémie 7, 31-33). Le ravin a également servi de frontière entre les territoires des tribus israélites de Juda et de Benjamin (Josué 15, 8). En 63 avant J.-C., les troupes romaines de Pompée s’y installèrent pour s’emparer de Jérusalem. Dans le Nouveau Testament, Jésus de Nazareth assimile symboliquement la Géhenne à l’enfer (Matthieu 23, 33 ; Marc 9, 43).

Pendant une longue période, la vallée de Hinnom a effectivement servi de cimetière. L’une de ses tombes rupestres allait donner lieu à une découverte spectaculaire.

 

La découverte de sept sépultures

En 1975, le docteur Gabriel Barkay, archéologue à l’Université hébraïque de Bar-Ilan, repéra dans la vallée de Hinnom quelques artefacts témoignant d’une occupation humaine passée. Il projeta d’y effectuer des fouilles, mais disposant d’un budget limité, il employa une main-d’œuvre bénévole fournie par un club d’archéologie pour jeunes collégiens. Avec l’accord de l’Université de Tel Aviv, il ouvrit un chantier archéologique sur le terrain situé en contrebas de l’église Saint-André.

Travaillant sur les flancs rocheux et le fond de la vallée, Barkay et sa jeune équipe dégagèrent en premier lieu une ancienne carrière, dont les fronts de taille et les voies de transport des blocs de calcaire étaient encore visibles.

 

Sur la partie nord de la colline, on découvrit bientôt les restes oubliés d’une basilique byzantine. La majorité des pierres de l’édifice ayant disparu, on reconnaissait toutefois les bases des murs qui dessinaient une nef, une abside, le seuil d’une entrée et des socles de colonnes. L’intérieur de l’édifice livra les fragments d’une magnifique mosaïque enfouie sous la poussière du sol, et dont l’un des morceaux représentait une perdrix se nourrissant d’une grappe de raisin au milieu des sarments et des feuilles de vigne. À côté de l’église paléochrétienne, une salle voûtée faisait figure de crypte, tandis qu’un autre niveau livra un bel assemblage de dalles de marbre aux couleurs et aux formes multiples.

À quel monument ancien cet édifice devait-il correspondre ? En consultant les archives disponibles, les chercheurs firent le rapprochement avec une église disparue nommée Saint-Georges-hors-les-murs, qui fut détruite lors d’une invasion perse en 614 après J.-C.

En creusant le sous-sol de la basilique, on mit au jour des restes plus anciens de foyers et de récipients contenant des ossements humains brûlés. Ces éléments furent attribués à la Xe légion romaine, qui demeura en poste à Jérusalem entre l’an 70 après J.-C. et le règne de Dioclétien au IIIe siècle de notre ère.

Légèrement en contrebas de la basilique, un groupe de sépultures antérieures étaient taillées dans la roche et fermées par de grandes dalles de pierre. La plupart d’entre elles livrèrent quelques pièces de monnaie remontant à la période du Second Temple de Jérusalem, c’est-à-dire entre l’an 516 avant J.- C. et l’an 70 après J.-C. Il pouvait s’agir de tombes judéennes, où étaient déposés temporairement les morts avant leur inhumation définitive.

Mais le secteur qui s’avéra le plus intéressant était un ensemble de sept sépultures plus anciennes, qui remontaient à la fin de la période du Premier Temple (VIIe/VIe siècles avant J.-C.). L’exploitation ultérieure du lieu comme carrière avait provoqué l’effondrement de leurs voûtes, laissant ces caveaux apparaître à l’air libre. Leur disposition respectait le schéma classique des tombes hébraïques rupestres de l’époque : une cour, une pièce centrale et d’étroites chambres funéraires creusées de bancs latéraux sur lesquels les corps étaient déposés (voir l’ossuaire de Jacques fils de Joseph). Certains de ces bancs étaient munis de curieux rebords taillés en saillie pour servir d’appuie-tête aux défunts. En-dessous de plusieurs de ces bancs funéraires, un espace vide et clos était taillé, qui avait dû servir de lieu de dépôt définitif aux ossements plusieurs mois après l’inhumation.

 

Une découverte fortuite

Cette nécropole ayant manifestement été pillée depuis l’Antiquité, on pensa qu’il ne devait rien rester de son contenu. Cependant l’une de ses chambres allait faire l’objet d’une découverte inattendue. L’un des collégiens bénévoles fut chargé de nettoyer un recoin du chantier des derniers gravats qui l’encombraient.

 

C’était la partie centrale de la chambre qui contenait le plus large banc funéraire, avec six places munies d’appuie-têtes. L’enfant revint bientôt vers Barkay chargé de vaisselle de terre cuite. Il expliqua que son travail terminé, il avait brisé par mégarde avec un marteau la paroi latérale du banc funéraire, et vu apparaître l’entrée d’une cavité obscure.

Se penchant sur l’ouverture béante, le chercheur aperçut un important volume de gravats d’où semblaient émerger en désordre quelques objets antiques. Le caveau était manifestement un dépôt funéraire oublié depuis l’Antiquité, et demeuré à l’abri du pillage.