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Le dernier empereur de la dynastie des Hohenstaufen, Frédéric II , petit-fils de Frédéric Barberousse, était surnommé par certains «émerveillement du monde », mais « antéchrist » par le pape.

Quoique excommunié1 le 28 septembre 1227 et interdit de croisade par le Pape Grégoire IX, Frédéric II de Hohenstaufen, Empereur du Saint-Empire romain germanique (1220-1250) part en 1228 pour la sixième croisade (Il s'était croisé en 1215).

A son arrivée, il fortifie Jaffa afin d'impressionner ses adversaires. Il démarre des négociations avec le sultan d’Égypte, Malik Al-Kamil 'le parfait', neveu de Saladin, qui souhaite contrecarrer l'influence des Ayyubides de Damas en écartant le danger des croisés.

Al-Kamil a déjà proposé à deux reprises de troquer Damiette, pris par les croisés en 1219, contre Jérusalem. Pelage, le légat du Pape avait refusé et finalement Damiette était tombée aux mains des Musulmans en 1221.

Cette fois Al-Kamil fait appel ce qui semble être une connivence entre les deux hommes. Il est vrai que Frédéric a été éduqué par un juge musulman :

"Certains auteurs vont jusqu’à parler d’amitié, même si tous les contacts ont passé par l’intermédiaire d’un tiers, l’émir Fakhreddine Ibn ach-Cheikh, amateur comme Frédéric de dialectique, d’astrologie et de fauconnerie. Et c’est bien à l’amitié du sultan que l’empereur fait appel lorsque les négociations semblent marquer le pas à l’automne 1228: «Je suis ton ami. C’est toi qui m’as incité à faire ce voyage […] Si je revenais les mains vides, je perdrais toute considération. De grâce, donne-moi Jérusalem que je puisse rentrer tête haute.»2

Suite au traité de Jaffa, conclu pour dix ans, le 18 février 1229, entre Frédéric II et Al-Kamil, Jérusalem redevient franque, sauf l'esplanade du temple réservée aux Musulmans. L'accord est la suite prévue au soutien que Frédéric avait accordé à Al-Kamil pour l'aider à lutter contre son frère Al'Muazzam, mort depuis. Le nom de l'Empereur n’apparaît pas dans le traité !

Art. 1 : Le Sultan donne à l’Empereur ou à ses baillis Jérusalem la très haute, qu'il en fasse ce qu'il voudra , la fortifie ou autre chose.

Le traité donne aussi à Frédéric les villages situés sur la route de pèlerinage reliant Jérusalem à Jaffa, ainsi qu Nazareth et Bethléem. La condition est qu'il ne prenne pas possession des lieux saints de l'islam.

Art. 2 :L'Empereur ne doit pas toucher à la Geemelaza (mosquée Al-Aqsa) qui est le temple de Salomon et le temple de notre seigneur.

Les fortifications de la ville ne peuvent pas non plus être relevées et enfin, la dernière condition est qu'une trêve de dix ans  soit conclue.

Frédéric a obtenu par la diplomatie ce que les croisés n'ont pas obtenu par la guerre. Frédéric II l'excomunié se couronne lui-même le 17 mars 1229 au Saint-Sépulcre dans la ville qu'avait conquise Saladin, l'oncle du sultan Al-Kamil, bravant l'opposition du patriarche latin Gerold3.

La victoire est cependant de courte durée. Le traité scandalise le patriarche de Jérusalem (qui en envoya au pape une traduction avec un commentaire indigné) et plusieurs auteurs Musulmans qui y voient un jour de deuil pour l'islam.

L'accord est par contre fort bien accueilli par les croisés et pèlerins qui se hâtent de visiter le Saint-Sépulcre. Très controversé, le traité vaut même à Frédéric II l'accusation de trahison car son article 8 est libellé ainsi :

Art 8 : Si des Francs quels qu'ils soient, ont pour intention de ne pas respecter les décisions qui ont été entendues et concernées par cette trêve, il reviendra à l'empereur de défendre le sultan…

1 Frédéric était en conflit avec la papauté (Grégoire IX et Innocent IV). Les cités de Lombardie le soutenant furent nommés Gibelins, celles soutenant le Pape les Guelfes.

2 1229: un traité pour partager Jérusalem, Sylvie Arsever, letemps.ch 14/07/2009.

3 Gerold de Lausanne, évêque de Valence et ancien abbé de Cluny est le patriarche latin de Jérusalem (1225-1239). Mais il réside à Saint-Jean d'Acre, comme tous les patriarches depuis 1187.

 

* * * 

"Le traité de Jaffa signé le 1er février 1229 entre le souverain ayyûbide d’Égypte al-Kâmil (1218-1238) et Frédéric II est un moment très important de l'histoire des relations entre musulmans du Proche Orient et chrétiens latins, en particulier du fait des réactions négatives qu'il suscita des deux côtés. On donne ici une traduction française du passage le concernant du Mufarridj al-kurûb de l’historien syrien (né à Hama) et fonctionnaire sous les Ayyûbides et les premiers Mamlûk-s Djamâl al-Dîn Ibn Wâsil (1207-1298), directement à partir du texte arabe (celle qui figure dans l’édition française des Chroniques arabes des croisades de Gabrieli est traduite de l’italien).

 

Après qu’al-Malik al-Ashraf soit parti pour Damas, le Sultân al-Malik al-Kâmil s’arrêta à Tall al-‘Adjûl afin de mener à bonne fin la conclusion de la trêve avec les Francs ; il voulait avoir l’esprit libéré de leur côté.

 Une correspondance nourrie s’échangeait entre lui et l’Empereur, Roi des Francs. La convoitise de celui-ci était liée au projet qu’ils avaient tous deux établi, plus tôt, avant la mort d’al-Malik al-Mu‘azzam. L’Empereur ne voulait pas rentrer dans son pays sans qu’ait été remplie la clause qui prévoyait que Jérusalem, ainsi que certaines des autres reconquêtes de Salâh al-dîn, lui seraient remises. Al-Malik al-Kâmil se refusait à lui livrer tout cela.

 En fin de compte l’accord se fit entre eux deux, prévoyant que Jérusalem serait remise à l’Empereur sous la condition qu’elle demeure détruite, la muraille ne devant pas être reconstruite. Les Francs ne seraient maîtres d’absolument rien d’autre, à l’extérieur de la ville.

 Seuls, les musulmans détiendraient tous les villages, sous l’autorité d’un gouverneur (musulman) résidant à al-Bîra, dans la province de Jérusalem au nord de la cité.

 Le Haram al-Sharîf, (la Noble Enceinte) avec le Rocher (la Coupole d’al-Sakhra) et la mosquée al-Aqsâ (la mosquée lointaine), devait demeurer entre les mains des musulmans. Les signes extérieurs de l’islam y seraient affichés. Les Francs n’y pénétreraient que pour la visite et l’administration en relèverait d’un conseil de musulmans. Les Francs détiendraient exceptionnellement un nombre limité de villages le long de leur route joignant ‘Akkâ à Jérusalem. Ces villages seraient entre leurs mains de crainte qu’un musulman n’attaque [les passants francs] à l’improviste. Al-Malik al-Kâmil pensait que s’il refusait de s’entendre avec l’Empereur et s’il n’arrivait pas à un accord total avec lui, cela ouvrirait la voie à la guerre contre les Francs. Alors, l’incendie gagnerait, et lui échapperait tout ce qu’il avait pu récolter grâce à lui (ce rapprochement). Il désirait aboutir à un accord avec les Francs en leur livrant Jérusalem [aux murailles] en ruines et en concluant un armistice temporaire. Ensuite, il aurait la capacité de leur reprendre cela quand il le voudrait.

La personne par laquelle s’effectuaient ces échanges incessants de messages entre al-Malik et l’Empereur était l’amîr Fakhr al-dîn b. al-Shaykh. Entre les deux souverains, les discussions portaient sur des sujets variés. Durant ces négociations, l’Empereur fit parvenir à al-Malik des questions portant sur les sciences intellectuelles1, d’autres portant sur la géométrie, ou sur l’arithmétique complexe, afin de tester les savants que ce dernier avait à sa cour. Al-Malik al-Kâmil présenta les questions d’arithmétique au Shaykh ‘Alam al-dîn Qaysar b. Abî 1Qâsim, un maître dans cette discipline, et il présenta les autres problèmes à un groupe des meilleurs savants. Ils répondirent à toutes les questions.

Ensuite, le sultân al-Malik al-Kâmil s’engagea par serment sur ce qu’avait prévu l’accord négocié entre eux, de même l’Empereur s’engagea par serment. L’acte d’armistice avait une durée déterminée. Les choses se firent de façon organisée entre eux. Chacun des deux accorda son amân à l’autre. On m’a rapporté que l’Empereur aurait confié à l’amîr Fakhr al-dîn : “Si ce n’était que j’avais peur que mon autorité ne s’effondrât chez les Francs, jamais je n’aurais obligé le sultân à accomplir quoi que ce soit de cela ; je n’ai nul désir de m’emparer de Jérusalem ou d’autre chose ! Simplement, j’ai voulu conserver mon statut auprès des Francs”.

Ibn Wâsil, Mufarridj al-Kurûb, Tome IV p. 241-51. cité in Pays d'Islam et monde Latin - Pierre Guichard, Deni s Menjot , PUL p.238-239