TÉMOIGNAGE DE RUDOLF REDER, SURVIVANT DU CENTRE DE MISE À MORT DE BELZEC, 1946

 

Rudolf Reder est né à Lwow le 4 avril 1881.

Dans cette ville de Galicie orientale, il était chimiste dans une usine de savon. Il fut déporté à Belzec le 16 août 1942. Vivant avec des centaines d’autres détenus juifs dans l’un des deux baraquements réservés au Sonderkommando, il travailla à creuser des fosses communes et à nettoyer les chambres à gaz.

À la fin de novembre 1942, il fut conduit à Lwow sous bonne escorte afin d’aller chercher de la tôle pour les besoins du camp. À Lwow, profitant du relâchement de l’attention de ses gardiens, il réussit à s’échapper du camion qui le transportait et à se réfugier chez une personne de sa connaissance, rue Legionow.

Il y resta caché jusqu’à l’entrée de l’Armée rouge dans la ville, fin juillet 1944. L’enquêteur de la Commission extraordinaire soviétique l’interrogea peu de temps après ; puis, en 1945, à Cracovie, il répondit aux questions de la Commission historique juive et, en janvier 1946, fit la déposition de son témoignage, toujours à Cracovie, devant la Commission d’enquête sur les crimes de guerre nazis, que présidait dans ce district le juge Jan Sehn.


On ne recense que huit évadés du camp de Belzec1, et sur ce nombre, seulement deux ont été interrogés, immédiatement après la guerre, sur ce qu’ils avaient vécu : Rudolf Reder et Chaïm Hirszman, mais ce dernier a à peine eu le temps d’entamer son témoignage avant d’être assassiné à Lublin le 16 mars 1946, et son parcours est différent de celui de Reder puisque Hirszman est venu à Belzec après la fin des convois acheminés vers ce camp, dans un commando de l’« opération 1005 », chargé de faire disparaître les traces du crime. Le témoignage de Rudolf Reder est donc considéré comme le plus important qu’un survivant a laissé sur le camp de Belzec.

Ce témoignage fut publié dès 1946 à Cracovie, dans un livre de 74 pages, intitulé tout simplement Belzec, et que Reder rédigea en collaboration avec Nella Rost3 qui travaillait pour la Commission historique juive.
On sait peu de chose sur la vie de Rudolf Reder. Il resta à Lwow après la guerre et épousa l’amie qui l’avait caché, puis il émigra au Canada, à Toronto, au début des années 1950, où il prit le nom de Roman Robak. C’est sous ce nom qu’il fit une déposition devant le bureau du procureur du tribunal de Munich en 1960, dans le cadre de l’instruction du procès contre les anciens membres du personnel du camp de Belzec. Ce procès se tint à Munich entre août 1963 et janvier 1964, mais Reder étant dans l’incapacité de reconnaître les neuf accusés de ce procès, son témoignage ne fut pas reçu par le tribunal.

Seul l’accusé Joseph Oberhauser fut condamné et, le jugement ayant été cassé, fut rejugé devant une cour d’assises de Munich en janvier 1965. À 84 ans, Rudolf Reder put comparaître comme témoin (ainsi que Sara Ritterbrand) et Oberhauser fut condamné à quatre ans et demi d’emprisonnement. Après ces procès en Allemagne de l’Ouest et jusqu’à sa mort, Reder se mura dans le silence concernant son passage à Belzec.

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Document traduit de l’anglais et présenté par Willy Coutin
Mémorial de la Shoah | « Revue d’Histoire de la Shoah » 2012/1 N° 196 | pages 61 à 86
Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2012-1-page-61.htm

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