Par Maurice Sartre dans L'Histoire mensuel 378
daté juillet-août 2012

En 63 av. J.-C., Jérusalem, devenue romaine, occupe une place à part dans l'empire, qui reconnaît la spécificité de la religion juive. Mais, entre la ville et Rome, les relations ne cessent de s'envenimer. Les choses s'aggravent encore après la mort d'Hérode.

En 63 av. J.-C. Pompée le Grand pénètre dans le temple* de Jérusalem*, après trois mois de siège, et s'avance jusque dans le saint des saints*. Depuis un peu plus d'un siècle que Judas Maccabée et ses frères ont rendu le Temple au culte décembre 165 av. J.-C., personne n'a osé violer les règles de pureté. Alors que, depuis un siècle, Rome a soutenu sans faillir l'indépendance juive face aux Séleucides - ce qui s'est traduit par un traité en bonne et due forme plusieurs fois renouvelé -, voilà que la première intervention directe des armées romaines en Judée se solde par un sacrilège ! Ainsi commence, mal, l'histoire de la présence romaine à Jérusalem.

LA CONQUÊTE DE POMPÉE

En 64 av. J.-C., Pompée décide de mettre fin à ce qu'il reste du royaume séleucide en Syrie et de faire du pays une nouvelle province romaine. S'il intervient à Jérusalem, ce n'est pas avec l'idée d'ajouter la Judée à cette nouvelle province ; il désire seulement mettre un terme à la querelle qui oppose les deux frères héritiers de la dynastie hasmonéenne : le cadet, Aristobule, conteste le pouvoir royal à son aîné Hyrcan, et voudrait qu'il se contente du titre de grand prêtre*. Pompée, en campagne contre les Nabatéens de Pétra, ne peut laisser cette guerre ouverte sur son flanc. D'autant que l'on dit le trésor du Temple bien garni !

Peu importent ici les solutions adoptées par Pompée puis par ses successeurs pour résoudre l'imbroglio judéen, mais on retiendra que, pendant près de trois quarts de siècle, de 63 av. J.-C. à 6 ap. J.-C., Rome se garde bien de prendre directement en charge l'administration de la Judée en général et de Jérusalem en particulier. Rome imite en cela ses prédécesseurs lagides puis séleucides, qui avaient laissé les Juifs s'auto-administrer. Elle préfère agir par l'intermédiaire de princes clients juifs, Hyrcan II d'abord, puis, à partir de 40, Hérode le Grand et, à sa mort en 4 av. J.-C., son fils Archélaos. Ce n'est que lorsque Auguste décide d'envoyer en exil Archélaos, décidément incapable de maintenir l'ordre, que Rome se résout enfin à gouverner elle-même la Ville sainte.

HÉRODE LE MAL-AIMÉ

Sous le règne d'Hérode, la ville s'est transformée, et Rome pourrait croire qu'elle est devenue une ville comme une autre. Ses riches habitants ont volontiers cédé au goût pour les maisons modernes à la grecque, avec péristyle, notamment dans le quartier au sud du Temple. S'ils se gardent de violer les interdits concernant les images, ils n'en adoptent pas moins bien des traits de l'art gréco-romain du temps. Cela ne signifie pas pour autant que les Juifs du Ier siècle soient prêts à tout accepter de cette culture étrangère.

On le voit bien au temps d'Hérode. Car Hérode a implanté à Jérusalem des monuments étrangers à la tradition juive : un théâtre et un amphithéâtre, un bouleutérion où se rassemble le conseil de la ville, un hippodrome. Il organise des concours à la grecque pour célébrer la victoire d'Octave à Actium. Certes, il a réservé la construction de temples païens à sa nouvelle capitale, Césarée, ou à Samarie, consacrée désormais à la gloire d'Auguste sous le nom de Sébastè traduction grecque d'Augusta. A Jérusalem, il a édifié au début des années 30 la forteresse Antonia. Mais l'essentiel de ses travaux a consisté à embellir et achever le Temple, dont les travaux traînent depuis le VIe siècle av. J.-C. cf. p. 14. Il lui donne une telle ampleur qu'on peut parler à son propos d'un nouveau Temple il ne sera achevé qu'en 63 ap. J.-C..

Cela devrait lui valoir la reconnaissance des Juifs pieux. Las ! Il n'en tire à peu près aucun bénéfice politique car on le soupçonne sans cesse des pires sacrilèges, à tort ou à raison. A raison, sans doute, lors de la plus célèbre affaire, survenue à la veille de sa mort, dite de l'aigle d'or. Pour orner une porte du sanctuaire, Hérode a fait placer au-dessus un aigle d'or. Aussitôt, poussés par leurs maîtres pharisiens1, des jeunes gens viennent arracher le double symbole de l'impiété d'Hérode : non seulement il viole, au Temple, l'interdit de représentation des êtres vivants, mais il affiche sa soumission à Rome en plaçant en vue l'animal symbole de la puissance romaine. Lorsque les jeunes gens sont arrêtés et condamnés à être brûlés vifs, c'est l'émeute, une fois de plus.

Jérusalem l'insoumise paraît en ébullition permanente. La mort du roi en 4 av. J.-C. suscite de nouveaux troubles et, pendant que ses héritiers potentiels se déchirent devant Auguste à Rome, le gouverneur de Syrie est obligé d'intervenir pour rétablir l'ordre ; Rome en profite pour mettre la main sur une partie, au moins, du trésor du Temple, provoquant de nouvelles émeutes non seulement à cause du vol manifeste que cela constitue, mais de la désacralisation qu'entraîne l'entrée des païens jusqu'au coeur du sanctuaire. Le court règne d'Archélaos n'arrange rien : corrompu et violent, l'ethnarque des Juifs Auguste lui a refusé le titre royal est finalement déposé au profit de l'administration directe par Rome.

TROUBLES À RÉPÉTITION

S'ouvre alors une nouvelle phase dans l'histoire de Jérusalem. La ville est rattachée à la province de Syrie dirigée par un gouverneur de rang consulaire résidant à Antioche. Mais, entre ce dernier et la ville, s'interpose un personnage de rang relativement médiocre, le préfet puis, après 44, le procurateur de Judée, réglant sur place les problèmes au quotidien et commandant les troupes.

Pour la première fois depuis la brève occupation séleucide liée à la révolte des Maccabées, des troupes étrangères sont présentes dans la ville. Certes, Rome connaît les risques, et c'est bien pour cela que l'administration romaine a été installée à Césarée, ville grecque. Elle reconnaît la spécificité des Juifs : depuis César au moins, elle les autorise à envoyer de partout le demi-shekel destiné au Temple, et celui de vivre selon leurs propres lois, ce qui revient à dire que l'administration ne peut les convoquer le jour du shabbat, qu'on ne peut les enrôler dans l'armée et que Rome se porte garante de la sainteté du Temple. On a retrouvé en deux exemplaires le texte que Rome fit afficher clairement en grec pour interdire aux non-Juifs d'entrer au-delà du parvis des gentils construit sous Hérode et autorisé, lui, aux non-Juifs, sous peine de mort.

Pourtant, des explosions secouent de temps à autre la ville, presque toujours en riposte à ce qui apparaît aux Juifs pieux comme des provocations du pouvoir romain. Ainsi, sous le long gouvernement du préfet Ponce Pilate 26-36. Lorsque celui-ci prétend utiliser des fonds pris dans le trésor du Temple pour faire construire un nouvel aqueduc destiné à améliorer l'approvisionnement en eau de la ville, la foule se masse autour du prétoire et, pour s'en dégager, Pilate doit faire intervenir la troupe qui doit frapper à coups de gourdin. Or, malgré ces précautions, explique Flavius Josèphe, « les Juifs périrent en grand nombre, les uns sous les coups, les autres en s'écrasant mutuellement dans leur fuite » Guerre des Juifs, II, 176-177.

Plus grave, l'empereur Caligula 37-41 prétend faire placer sa statue dans le Temple. Le gouverneur de Syrie, Petronius, comprend aussitôt que c'est une erreur magistrale. Mais comment s'opposer au prince ? Il multiplie les consultations, sans faire fléchir les Juifs, qui observent une grève générale de cinquante jours, se dispensant même des travaux agricoles habituels c'est le moment des semailles. Impressionné, Petronius prend sa décision : il va tenter de faire revenir Caligula sur sa décision, au risque d'être lui-même condamné à mort et exécuté. Par chance pour lui, le prince est assassiné et le projet abandonné.

UNE EXCEPTION JUIVE ?

Ingouvernable, Jérusalem ? Bien d'autres villes de l'empire connurent des troubles urbains, et l'on a remarqué depuis longtemps qu'en Syrie les légions campaient à côté des villes, comme s'il importait plus de surveiller les populations que de faire face à l'ennemi éventuel venu de l'autre rive de l'Euphrate. Cela dit, Jérusalem pose aux Romains des problèmes auxquels ses administrateurs ne sont guère préparés. Petronius, qui consulte longuement et ménage les susceptibilités, fait figure d'exception. Pour la plupart des Romains, le pointillisme religieux des Juifs paraît incompréhensible : ils ne peuvent saisir un monothéisme qui, par nature, nie la réalité divine des dieux des autres. Nulle part ailleurs on ne s'offusque que les Romains fassent étalage de leurs symboles religieux notamment à travers les enseignes ou des images impériales.

Il faut sans doute aussi s'interroger sur la qualité des administrateurs. A-t-on nommé préfets et procurateurs des gens particulièrement maladroits ou brutaux ? Selon Agrippa Ier, nommé roi de Judée par l'empereur Claude en 41 - il lui rend ainsi le royaume de son grand-père Hérode -, Pilate était « vindicatif et emporté » Legatio 303. Tacite explique de son côté que les choses se sont gâtées avec Caligula, qui nomma en Judée des hommes de modeste extraction, des chevaliers et des affranchis, pressés de s'enrichir et de plaire au prince à tout prix, ne connaissant rien aux réalités locales : « Antonius Felix, donnant toute carrière à sa cruauté et à sa débauche, exerça le pouvoir d'un roi avec l'esprit d'un esclave » Histoires, 5, 9.

Il faut ajouter à cela que la position des agents romains est inconfortable, car ils se trouvent pris entre des exigences contradictoires. On a vu comment Pilate a le souci du bien-être des habitants de Jérusalem : en construisant un nouvel aqueduc, il veut mettre fin à la pénurie d'eau, fléau de la ville, et agit donc conformément aux instructions impériales ; mais où trouver l'argent, si ce n'est dans le trésor du dieu local ? Peut-il imaginer qu'il commet ainsi un sacrilège aux yeux des Juifs, qui considèrent cet argent comme destiné uniquement à l'entretien du Temple ? Par ailleurs, comment respecter les lois juives - selon la volonté impériale maintes fois répétée - et manifester sa piété envers les dieux de Rome et l'empereur ?

Et puis les gouverneurs ne sont pas responsables de tout : de simples Romains se livrent à des provocations gratuites. Au temps du procurateur Cumanus 48-52, un soldat romain exhibe son sexe devant les pèlerins, provoquant une révolte ; le gouverneur Cumanus réprime l'émeute dans le sang 2 000 morts, prétend Flavius Josèphe. Un peu plus tard, au cours d'une opération punitive contre des villageois soupçonnés d'avoir protégé la fuite d'un bandit, un soldat déchire une copie de la Loi, en blasphémant : Cumanus, cette fois-ci, pour calmer les Juifs en colère, fait trancher publiquement la tête du soldat.

Il faudrait également pouvoir faire la part des problèmes économiques et sociaux, que l'on mesure mal. On sait que Jérusalem souffre d'une disette au temps du procurateur renégat d'Alexandrie Tiberius Iulius Alexander 46-48, disette que soulage Hélène, reine d'Adiabène actuel Kurdistan, convertie au judaïsme. De même, après l'achèvement des travaux du Temple, 18 000 ouvriers se retrouvent au chômage, et Agrippa II les embauche pour paver les rues de la ville, afin d'éviter les troubles. Dans les deux cas, on le voit, ce sont des notables juifs qui agissent, non l'administration romaine. Cela nourrit sans doute le mécontentement d'une population attentive aux discours extrémistes de prophètes plus ou moins exaltés. Car, outre les aspects sociaux, il faudrait faire une place à l'attente messianique, très présente à Jérusalem comme dans toute la Judée.

LA DESTRUCTION DE LA VILLE

L'insécurité grandit, car le mécontentement monte aussi bien contre les Romains que contre leurs riches alliés juifs. A partir des années 60, la ville doit faire face à un fléau nouveau : le terrorisme des sicaires. Ceux-ci assassinent en plein jour avant de se fondre dans la foule. Les victimes sont bien plus les Juifs alliés des Romains y compris un grand prêtre, Jonathan que les Romains eux-mêmes. D'où le peu de réaction de Rome face à ce nouveau défi.

Lorsque le procurateur Gessius Florus 62-66 pille sans vergogne le trésor du Temple et que les Juifs se moquent en organisant une quête pour le « pauvre Florus », l'explosion guette. Devant le refus des notables juifs excédés de livrer les moqueurs, Florus laisse l'armée se livrer à la violence, faisant 3 600 morts dans la ville. Puis il exige une entrée solennelle des cohortes, toutes enseignes dehors : ces provocations entraînent des manifestations continues, jusqu'à ce que les Juifs se soulèvent en 66. Si la révolte est pratiquement matée dans toute la Palestine* fin 68, Jérusalem résiste jusqu'en 70. Une guerre civile entre factions juives s'y déroule sous les yeux des Romains jusqu'à ce que ceux-ci, lassés, ne s'en emparent comme d'un fruit mûr, dans l'été 70, détruisant la ville et le Temple cf. p. 26.

Jérusalem a perdu ce qui fondait sa célébrité et son pouvoir, le Temple. Avant même la fin du siège, des sages rabbis ont émigré à Iamnia, près de Césarée, pour y fonder une école d'étude de la Loi. Désormais, c'est la Galilée bien plus que Jérusalem qui est le coeur du judaïsme. De fait, entre l'incendie du Temple et la révolte de Bar Kokhba en 132, on ne sait presque rien de ce qui se passe à Jérusalem. La ville paraît dépeuplée, ruinée au milieu d'une campagne largement désertée. Les destructions sont telles que Flavius Josèphe, non sans exagération, estime que les visiteurs pourraient douter que les lieux aient été un jour habités ! La Xe légion s'installe au milieu des ruines, dans le quartier nord-ouest de la ville. Sur les sept synagogues encore debout, une seule sert encore au culte.

AELIA CAPITOLINA, COLONIE ROMAINE

La situation y semble si affligeante que l'empereur Hadrien, en visite en Syrie en 129-130, songe à relever la ville en y installant une colonie romaine peuplée des vétérans de la Ve légion Macedonica et de colons civils « grecs », c'est-à-dire non juifs. Alors que la plupart des colonies conservent le souvenir de leur nom ancien, Aelia Capitolina, installée sur le site de Jérusalem, n'en garde aucune trace : seuls Jupiter Capitolin et l'empereur Aelius Hadrianus sont honorés.

La création de cette colonie est-elle la cause ou la conséquence de la révolte qui éclate avec violence dans le courant 132 sous la direction d'un homme que les sources anciennes désignent sous le nom de Bar-Kokhba ? Il semble bien que la décision soit antérieure à la révolte, même si la réalisation est pour l'essentiel postérieure. La guerre reste limitée à une partie de la Judée, mais Rome a beaucoup de mal à la mater2.

Jérusalem même est peu impliquée dans ce soulèvement, si ce n'est indirectement. En effet, les révoltés occupent essentiellement le sud de la Judée et, s'il est question de Jérusalem, c'est uniquement comme d'un objectif à atteindre. Des monnaies portent la mention « Pour la liberté de Jérusalem », mais il ne semble pas que les hommes de Bar-Kokhba aient jamais contrôlé la ville.

En tout cas, après l'échec de la rébellion, en 135, Hadrien prend des mesures terribles contre les Juifs de Judée : interdiction de la circoncision, du shabbat et de l'étude de la Torah, interdiction d'ordonner des rabbins, mais surtout interdiction pour les Juifs d'entrer à Jérusalem, sauf un jour par an, le 9 ab août-septembre, pour pleurer sur les ruines du Temple. Jérusalem devient la seule ville de l'empire sans juifs, la seule ville interdite aux Juifs. L'installation de la colonie pouvait reprendre.

La ruine de l'ancienne ville est si profonde que le plan de la nouvelle cité tient peu compte des vestiges existants. On a bien conservé les remparts à l'est et à l'ouest, mais la ville s'est rétrécie, laissant hors des murs* les quartiers nord et sud. En contrebas de l'esplanade du Temple qui reste vide se dresse le nouveau temple de Jupiter Capitolin, celui de Vénus se trouve près du centre-ville là où sera construit sous l'empereur chrétien Constantin le Saint-Sépulcre*, où se croisent cardo et decumanus, les deux rues perpendiculaires caractéristiques des colonies romaines ; d'autres temples Esculape, Sérapis, des thermes, un théâtre, deux forums ornent la ville. Aelia devient une banale ville de Syrie, avec ses rues à colonnades, son monnayage portant quelquefois le sanglier, emblème de la Xe légion, ses institutions civiques.

On connaît mal la colonie romaine, car les plus anciens voyageurs n'arrivent guère avant l'époque de Constantin. Le premier à le faire fut le pèlerin de Bordeaux en 333. On sait néanmoins que deux grandes statues impériales se dressaient sur le mont du Temple. Des portiques ont été aménagés autour de la piscine de Siloé, alors que l'on élève ici et là des arcs monumentaux. Mais la ville reste peu peuplée et dépourvue de murs. Pourtant, Rome se soucie du confort de la population et de ses soldats : un nouvel aqueduc est construit grâce aux troupes. Il y a même une bibliothèque, selon Iulius Africanus v. 180-v. 250, auteur de langue latine natif de Jérusalem. Mais le développement est lent, et on est frappé, malgré le grand nombre de fouilles effectuées, du très petit nombre d'inscriptions datées de cette époque, en dehors de celles à caractère funéraire. Il faut donc recourir aux textes littéraires, ceux des auteurs chrétiens comme ceux des rabbis du Talmud, pour glaner quelques détails.

Ainsi apprend-on qu'une petite communauté chrétienne fleurit dans la ville depuis les temps apostoliques. Puisant ses membres pour une bonne part chez les Juifs, elle a constamment élu un évêque issu de ce milieu. Or, selon Eusèbe, en 134, elle se dote de son premier évêque d'origine non juive, l'évêque Marc, comme si elle appliquait d'elle-même l'interdit établi par Hadrien. C'en est bien fini de la Jérusalem juive ! D'ailleurs les rabbis la vomissent : elle est devenue, selon certains, le lieu privilégié de fabrication des idoles. Sans doute est-ce excessif, mais on sait que la ville est un centre de fabrication des sarcophages en plomb, lesquels sont ornés des sujets mythologiques traditionnels. Il n'y a rien là d'étonnant puisque la clientèle est essentiellement païenne : elle retrouve sur les sarcophages les thèmes qui ornent les mosaïques des belles maisons de la ville.

Les Juifs sont les grands absents et l'interdit qui les frappe paraît appliqué, du moins pendant un temps. Au début du IIIe siècle, peut-être en raison des excellentes relations supposées entre le patriarche nassi - chef du Sanhédrin* depuis la disparition du grand prêtre, Juda Ier - et Caracalla, une « sainte communauté » kehilah kadicha est attestée à Jérusalem. Mais cela ne change rien au fond : le Temple détruit sans espoir de restauration, les Juifs écartés à l'exception d'une infime minorité, Jérusalem est une autre ville. Elle est bien cette Aelia païenne, une colonie comme les autres, même si, déjà, quelques rares chrétiens en font le but d'un pèlerinage, comme Méliton de Sardes milieu IIe siècle, Origène IIIe siècle ou l'évêque Alexandre de Cappadoce sous Caracalla. Mais la ville est si peu importante pour les Romains qu'à la fin du IIIe siècle la légion est mutée dans le port d'Aila Aqaba. Désormais une simple aile de cavaliers maures suffit à en assurer la tranquillité.

Le choix de Constantin d'adhérer au christianisme au IVe siècle change radicalement et rapidement le statut de Jérusalem. La grosse bourgade provinciale à laquelle était attaché le souvenir des turbulences juives devenait tout à coup le lieu béni de la Résurrection. Une nouvelle phase de l'histoire de la Jérusalem romaine commençait.

Comments powered by CComment