Un héros national ukrainien très controversé

 

Alors que dans le monde presque toutes les manifestations politiques, culturelles ou religieuses sont annulées en raison de la crise sanitaire, la marche des fascistes ukrainiens dans le centre de Kiev et dans diverses villes du pays aura bien lieu le 1er janvier 2021. Svoboda, la formation d’extrême droite (un seul député sur 450), vient de l'annoncer sur son profil Facebook. Cette « Marche d'honneur, de dignité et de liberté» est organisée depuis depuis 2007. Elle se déroule de nuit, aux flambeaux et marque l’anniversaire de Stepan Bandera, une personnalité très controversée aussi bien en Ukraine que dans les pays voisins.  

Cette année, on célèbre le 112e anniversaire de celui qu’une partie des Ukrainiens désigne comme un « héros de l’Ukraine », un titre qui lui a été très officiellement attribué en janvier 2010 par Viktor Iouchtchenko, président de l’Ukraine à l’époque. Ce geste a provoqué la fureur de la Pologne et d’Israël, car ce nationaliste ukrainien est aussi un criminel de guerre. Il a aussi été très critiqué en Ukraine même où ‘extrême droite, bien implantée à l’ouest, est très minoritaire à l’échelle du pays (les formations d’extrême droite ont obtenu 5% aux dernières législatives).

Stepan Bandera est né en 1909 en Galicie, une région de l’empire Austro-Hongrois récupérée en 1918 par la Pologne. Appartenant à la minorité ukrainienne de Pologne, il adhère très jeune à une organisation nationaliste ukrainienne, très anti-polonaise, l’OUN, qui multiplie les assassinats politiques. Fasciné par les nazis, Bandera prend fait et cause pour ce mouvement politique allemand avant même qu’il ne prenne le pouvoir en Allemagne. En raison de son activisme, Bandera fini par se faire emprisonner en Pologne, il sera libéré par les Allemands lors de l’invasion de la Pologne en 1939. Il se met aussitôt au service le Allemagne nazie et crée une Légion ukrainienne qui participe, en 1941, notamment au massacre des juifs de Liv (Lwow) et à l’assassinat de plusieurs dizaines de professeurs de l’université de la ville, celle où Stepan Bandera avait fait ses études. L'Armée révolutionnaire populaire ukrainienne (UPA) s’est battue contre les soviétiques aux côtés des nazis. Outre sa participation à la Shoah, on lui reproche aussi le massacre de quelque 50 à 100 000 Polonais de Volhynie, une région qui se trouve aujourd’hui en Ukraine.

Si Stepan Bandera est considéré comme un héros malgré sa participation active à de nombreux crimes de guerres, c’est qu’il a pris le risque de proclamer l’indépendance de l’Ukraine, le 30 juin 1941. Ce qui lui valu quelques mois plus tard d’être emprisonné par les nazis. Lesquels ne voyaient guère d’un bon œil, l’indépendance d’un pays destinée à n'être qu'une simple colonie au service du IIIe Reich. Envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen, dans la section réservée aux hautes personnalités politiques, Bandera survivra à la guerre et se réfugiera en Allemagne de l’Ouest. Il sera assassiné à Munich par les services secrets russes.

Éliminé par les soviétiques, emprisonné par les nazis, les nationalistes ukrainiens ne voient en lui que le résistant qui à sacrifié sa vie à l’indépendance de son pays oubliant ses positions extrémistes, son antisémitisme constant, sa fascination pour les dictatures et surtout sa participation à des massacres de masse. À Liv, en Ukraine occidentale, on voue à Stepan Bandera un véritable culte. Les célébrations du 1er janvier y ont toujours une beaucoup plus grande ampleur.  Sa statue trône au centre de la ville entourée du drapeau bleu et jaune et d’Ukraine et de celui noir et rouge de l’UPA. Sa maison natale, dans le village de Stary Ugrymiv est un musée. Un rassemblement y est prévu ce 1er janvier à 11 heures. L'Organisation des nationalistes ukrainiens  (OUN) est réapparue en Ukraine après 1991 sous le nom de Congrès des nationalistes ukrainiens. Une petite formation d’extrême droite principalement implantée à l’Ouest du pays. 

Cette marche aux flambeaux, dans les rues de Kiev, de militants aux allures fascistes, embarrasse chaque année les autorités ukrainiennes au plus haut point, sans pouvoir l’interdire. La figure de Stepan Bandera est très populaire parmi les soldats ukrainiens qui combattent au Donbass contre les séparatistes russes. D’ailleurs, un défilé en son hommage est aussi prévu à Slovyansk dans la région de Donesk. Il débutera à 18h place de la cathédrale. À Kiev, le rendez-vous des nationalistes de tous poils a été fixé cette année dans le parc Taras Chevchenko (une autre figure nationale, mais plus respectable), près du monument Kobzar. La parade annuelle des militants ultra nationalistes les conduira, comme l'an dernier, jusqu’à la mairie de Kiev.

L’actuel président, Volodymyr Zelensky, n’appartient pas du tout à cette mouvance politique, mais en tant que chef d’État d’un pays très divisé, il ne peut pas totalement récuser ce fâcheux symbole. L’an dernier, par exemple, il a du prendre la défense d’un joueur de foot ukrainien évoluant dans un club espagnol et qui se faisait traiter régulièrement de nazi dans les stades pour avoir arboré le portait de Stepan Bandera sur les réseaux sociaux. Le combat est symbolique. Les ultra nationalistes ukrainiens ont tendance à caractériser de « banderophobie » toute image négative qui pourrait porter atteinte à l’Ukraine. En Pologne, où la loi s’impose au récit historique, le « banderisme » (l’apologie de Bandera) est interdit depuis 2018. Israël ou la Russie protestent vigoureusement chaque fois qu’une rue d’une ville Ukrainienne est rebaptisée "Stepan Bandera". Ce qui fut le cas à Kiev en 2010. La guerre des mémoires bat toujours son plein. Mais, l’agitation de cette frange très minoritaire de l’opinion ukrainienne est aujourd’hui largement exploitée par la propagande russe anti ukrainienne. Alors que si elle peut s’exprimer en Ukraine, c’est qu’il existe dans ce pays une liberté d’expression totalement inconnue en Russie.

(site Bibliomonde)

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