En 1918, après la renaissance de l'État polonais, la « solution au problème juif » devient une des questions prioritaires pour les autorités. Un an plus tard, pendant les négociations du « petit traité de Versailles » (qui visait à protéger les minorités dans les nouveaux pays de l'Est), Roman Dmowski, délégué polonais et leader du Parti national-démocrate, aborde la situation légale des Juifs dans la jeune République polonaise. Il déclare au délégué américain Stephen Bonsal : « Nous avons en Pologne un quart de tous les Juifs du monde. Ils comprennent 10 % de notre population et, selon moi, c'est au moins 8 % de trop. » Vingt ans plus tard, Dmowski sera encore moins généreux : son objectif est dorénavant l'ostracisme professionnel, suivi de l'isolement physique et, finalement, de l'expulsion (« émigration forcée ») de tous les Juifs de Pologne. Quelle a été l'origine de cette évolution idéologique et politique ? Certes, la montée du fascisme en Italie et en Allemagne a donné des ailes aux mouvements nationalistes européens, mais l'influence extérieure n'explique pas, à elle seule, le phénomène de l'antisémitisme en Pologne.
Le bannissement progressif
Entre 1918 et 1920, la Pologne est en guerre contre les forces soviétiques à l'est du pays, en Biélorussie et dans l'ouest de l'Ukraine. Les opérations militaires se déroulent sur des territoires densément peuplés par la population juive. Or, c'est là où les troupes polonaises de l'armée Haller1 commirent des crimes sur la population civile, visant souvent spécifiquement les Juifs.
Le comportement du nouvel État alimenta les inquiétudes des Juifs. Le 9 décembre 1922, Gabriel Narutowicz, le candidat soutenu notamment par les partis de gauche et les minorités, emporta la première élection présidentielle. Néanmoins, ce triomphe électoral fut vite gâché par une violente agitation antisémite, surtout menée par le parti nationaliste (ND, Narodowa Demokracja, Démocratie nationale) qui tenait les Juifs pour responsables de la défaite de leur candidat. Le père Kazimierz Lutoslawski, député ND au Parlement polonais, s'indignait ainsi : « Les Juifs, comment osent-ils imposer leur président à la Pologne ? » Cinq jours seulement après le début de son mandat, le nouveau président tomba sous les balles d'un assassin qui voulait « sauver la Pologne des griffes des Juifs et des socialistes ». L'intellectuel nationaliste Adolf Nowaczynski, journaliste à ses heures, écrit alors en première page de Mysl Narodowa (« Pensée nationale ») : « Ceci ne concerne pas les minorités nationales avec lesquelles nous voulons vivre en paix : les Allemands, les Ukrainiens et les Biélorusses. Il s'agit ici d'une seule minorité nationale, ce démon de l'humanité, cette minorité antichrétienne, cette maladie qu'on appelle les Juifs ; ce démon avec lequel l'Europe et le monde entier sont engagés dans un combat mortel. » Le ton est donné ; l'antisémitisme devient l'élément essentiel de la stratégie politique des nationalistes.
C'est cependant après la mort du maréchal Jozef Pilsudski en 1935, souvent perçu comme défenseur des droits des minorités, que les mesures antijuives prirent de l'ampleur. En juin 1936, le Premier ministre Felicjan Slawoj-Skladkowski se prononça en faveur du boycott du commerce juif, légitimant ainsi les activités de la droite qui, depuis déjà plusieurs années, essayait de couper les racines de la vie économique de la minorité juive. A partir de 1937, les autorités exigèrent que tous les magasins affichent le nom de leur propriétaire, donc les « origines raciales » du commerçant, pour faciliter le boycott.
Les organisations professionnelles et les institutions publiques épaulèrent cette politique. Certaines universités établirent d'abord un numerus clausus, limitant le nombre d'étudiants juifs à leur proportion dans la population générale ; en 1937 ce fut un numerus nullus (le refus total d'admission de Juifs) qui fut mis en place. La même année vit l'introduction du « ghetto des bancs », la séparation physique des étudiants juifs de leurs camarades « aryens ». Le pourcentage d'étudiants juifs dans les universités polonaises diminua ainsi de 21 % en 1929 à 4,5 % en 1938.
Les partis de droite reçurent l'appui de l'Église catholique. Le clergé considérait en effet que le « problème juif » empêchait l'épanouissement national et que la « déjudaïsation » (odzydzenie) de la vie économique et culturelle ainsi que la lutte contre l'omniprésent zydokomuna (« judéo-communisme ») étaient une priorité. Dans le diocèse de Cracovie, par exemple, des publications comme La Cloche du dimanche ou Le Visiteur du dimancheappelèrent à la déjudaïsation du pays. Des propos similaires furent tenus par les journaux catholiques de Tarnow, de Varsovie ou de Kielce. En 1936 l'archevêque August Hlond, primat de l'Église catholique polonaise, accusait non seulement les Juifs d'être hostiles à l'égard de l'Église, mais aussi de répandre une propagande athée et de promouvoir des activités subversives contre l'État.
A la fin des années 1930, la situation politique et économique des 3,3 millions de Juifs polonais devint de plus en plus précaire. Or l'émigration n'était plus une option : les principaux pays d'accueil, tels que les États-Unis, le Canada et la France, fermèrent leurs frontières face à la crainte du « judéo-communisme » et à la crise économique.
1939-1942 : les ghettos et le pillage
L'invasion allemande de septembre 1939 ouvrit un nouveau chapitre dans l'histoire des relations entre les Polonais et les Juifs. L'occupant déterminait désormais le cadre général de la politique de répression. Mais, dans l'optique allemande, la population locale avait aussi un rôle à tenir. Les Allemands forcèrent les Juifs à porter un « brassard juif » (un ruban blanc avec une étoile de David bleue), limitèrent leur mobilité et permirent la saisie de leur propriété. Ce vol organisé commença par la saisie des banques, des usines et des immeubles, pour finir avec la confiscation des bijoux et autres objets personnels. Finalement, les Juifs furent forcés à s'installer dans des ghettos. A Varsovie, le ghetto fut fermé par un mur d'enceinte le 15 novembre 1940. Pourtant, à cette date, des milliers de Juifs - surtout des convertis catholiques, assimilés ou qui ne ressentaient aucun lien avec la communauté juive - avaient refusé d'obéir aux ordres de l'occupant et décidé de rester chez eux. Le lendemain de la clôture du ghetto, la police polonaise organisa une rafle : quelque 14 000 Juifs furent déportés vers le ghetto.
Les répressions contre les Juifs et la détérioration de leur situation ne laissèrent pas les Polonais indifférents. En février 1940, le courrier de la Résistance Jan Karski se rendit en France pour informer le gouvernement polonais en exil de la situation de la société polonaise sous l'Occupation2. De même, dans le rapport de la Résistance de l'été 1941, on pouvait lire : « L'antisémitisme présent dans la société polonaise est cultivé par la propagande allemande. C'est un problème extrêmement irritant, l'un de ceux qui peut déterminer les lignes de faille politiques dans les masses polonaises. » Les propagandistes allemands avaient en effet vite compris que l'antisémitisme pouvait constituer un des rares « terrains d'entente » entre l'occupant et les occupés. Affiches, films, expositions et articles de presse s'employèrent à exploiter le motif du « danger juif », la propagande allemande puisant d'ailleurs dans le riche réservoir de stéréotypes antisémites qui circulaient en Pologne avant la guerre.
Le discours antisémite insistait sur la « trop grande » présence juive dans la vie économique du pays : l'enfermement des Juifs dans les ghettos facilita le transfert massif de leur propriété entre les mains des Allemands, mais aussi entre celles des Polonais. En janvier 1941 un représentant de la Résistance nationaliste estimait ainsi : « L'opinion publique n'approuve pas la violence [nazie] contre les Juifs, mais cette même opinion n'accepterait jamais le retour des Juifs à leur ancienne influence et à leurs carrières. Les Juifs ont perdu leur place privilégiée dans la vie économique du pays et la société polonaise n'acceptera jamais le retour au statu quo. » Des milliers de Polonais devinrent des « administrateurs provisoires » (Treuhändler) et des millions profitèrent de la propriété (surtout des meubles et des maisons) abandonnée par les Juifs déportés dans les ghettos et, par la suite, exterminés dans les camps.
Une nouvelle expression, mienie pozydowskie (les « biens post-juifs ») fut même inventée pour désigner les biens volés aux Juifs pendant la guerre. En juillet 1943, quand l'extermination des Juifs polonais est entrée dans la phase finale, Roman Knoll, haut responsable de la Résistance, écrit dans son rapport envoyé à Londres : « Les massacres des Juifs par les Allemands vont diminuer, mais pas éliminer, l'importance de la question juive en Pologne. Il est certain qu'un nombre considérable de Juifs va survivre et, avec le retour des survivants après la guerre, nous prévoyons une population juive entre 1 et 2 millions d'âmes... L'état des choses au pays est tel que le retour de Juifs (même en un nombre inférieur) dans leurs maisons et leurs lieux de travail est absolument impossible. Les non-Juifs ont pris la place de Juifs à travers le pays et il s'agit d'une transformation définitive et fondamentale. La population percevrait le retour massif des Juifs non pas comme une restitution mais comme une invasion que l'on devrait repousser même physiquement. » L'aryanisation de la propriété juive fut donc considérée comme un acquis à défendre bec et ongles.
Un génocide sous l'oeil des Polonais
Entre mars-avril 1942 (l' « Aktion Reinhard », ou la mise en place de la « solution finale ») et août 1944 (déportation des Juifs du ghetto de Lodz, cf. Annette Wieviorka, p. 46), la liquidation des ghettos en Pologne fut un spectacle horrifiant et public : des centaines de milliers de Juifs furent menés vers les trains de la mort et des milliers tués en route. Wincenty Sobolewski, un médecin travaillant dans le sud-est du pays, note dans son Journal : « 21 novembre 1942. Récemment, dans notre région, les Allemands ont commencé à tuer tous les Juifs. En revenant de Lwow (Lviv), j'ai passé par Staszow et Tuczepy. Un jour plus tôt, les Allemands ont mené par le même chemin toute la population juive de Staszow. On tuait ceux qui ne pouvaient plus marcher. On peut dire sans aucune exagération que la chaussée fut tout simplement couverte de sang. Terrible est le sort de Juifs, mais on peut dire qu'ils le méritent parce que c'est à cause d'eux que des millions de gens périrent en Russie. »
Étant donné l'ampleur et la proximité physique du génocide, personne parmi les Polonais ne pouvait rester indifférent. Certains, choqués par la tragédie humaine qui se déroulait sous leurs yeux, essayèrent d'aider. Pour les autres, éduqués dans un climat antisémite et motivés par la propagande et par la terreur nazie, la catastrophe juive fut une aubaine. A travers le pays occupé, des dizaines sinon des centaines de milliers de maisons et de logis étaient désormais « à prendre ». Dans les ghettos vidés de leurs habitants, un vol à une échelle inédite dans l'histoire commença. Les Polonais les moins scrupuleux s'engagèrent même à la recherche des Juifs cachés dans leurs maisons. Le médecin Zygmunt Klukowski put ainsi observer par ses fenêtres la liquidation du petit ghetto de Szczebrzeszyn : « 24 octobre [1942]. Le transport des cadavres jusqu'au cimetière juif n'a pas cessé de la journée. Les chariots formaient un cordon ininterrompu. Des Polonais ont vidé les appartements des Juifs et déménagé leurs affaires dans la halle du marché. De nombreux habitants ont participé, sans vergogne, à un pillage en règle. Je revois le spectacle terrible de Juifs battus, de groupes conduits à la mort et de cadavres couverts d'ecchymoses entassés à la va-vite sur les chariots. Il y a une majorité de femmes, d'enfants et de vieillards parmi les victimes. Les hommes se cachent mieux ou ont eu le temps de fuir dans les forêts. Certaines personnes redoutent que ceux-ci reviennent pour se venger de l'attitude des Polonais en incendiant la ville. »
En 1942, entre 200 000 et 250 000 Juifs essayèrent de fuir les ghettos liquidés et de survivre du « côté aryen », parmi les Polonais. Seulement 35 000 y parvinrent. Les rapports entre les Juifs et les Polonais furent alors soumis au plus dur examen possible, celui dont l'enjeu était la vie et la mort. Or les dizaines de milliers de Juifs en fuite rencontrèrent un monde hostile et le plus souvent meurtrier. La « chasse aux Juifs » par les Polonais dura jusqu'à la fin de l'occupation allemande.
La chasse aux Juifs
Le travail des historiens sur cette question en est à ses balbutiements. On sait pour le moment qu'elle fut en partie menée par la police collaborationniste polonaise, la police « bleue », impliquée dans des milliers de meurtres commis sur les Juifs. Très souvent, ces policiers agirent de leur propre initiative, à l'insu de leurs supérieurs allemands. La chasse se déroulait ainsi : des habitants ayant détecté des Juifs appelaient les policiers polonais pour résoudre leur « problème juif », les préférant aux gendarmes allemands. Les policiers exécutaient les captifs puis volaient l'argent et les bijoux trouvés sur les victimes. Ils profitaient souvent dans leur traque de l'appui des pompiers volontaires et des « gardes de nuit », composées de paysans.
Dans les villes, l'omniprésente délation semait la terreur parmi les Juifs cachés du « côté aryen ». Au risque de leur vie, et confrontés à la fois à la répression allemande et à l'hostilité de leurs propres voisins, voire de leurs familles, de nombreux individus s'engagèrent, pour différentes raisons, à porter assistance aux Juifs de Pologne. Après la guerre, quelque 6 600 Polonais furent reconnus par l'État d'Israël comme « Justes parmi les nations ».
Sur 3,3 millions de Juifs polonais en 1939, seuls 35 000 survécurent à l'occupation allemande tandis que 250 000 avaient fui en Union soviétique. Mais la Libération et la fin de la guerre ne mirent pas fin à la terreur dirigée contre les Juifs. Les survivants juifs regagnèrent d'abord leurs villes et leurs villages natals. Mais lorsqu'ils cherchaient (le plus souvent sans succès) les traces de leur famille ou lorsqu'ils réclamaient leurs biens, ils se heurtèrent à l'hostilité et l'agression.
Ainsi, la ville de Wegrow (à 70 km à l'est de Varsovie) comptait environ 5 000 Juifs avant la guerre, soit la moitié de la population. Lorsque les survivants - moins de 200 personnes - tentèrent, l'un après l'autre, de rentrer chez eux après la libération, leur séjour ne fut que d'une courte durée. La lettre envoyée, le 6 juin 1945, par le comité juif local, laisse comprendre pourquoi : « A cause de l'assassinat de plusieurs Juifs sur le territoire de notre comté et à cause d'une extrême hostilité de la population polonaise contre les Juifs, il n'y a que quelques personnes ou familles [juives] qui restent ; les autres sont parties. Des 195 âmes juives il ne reste ici que 20 personnes. » Ailleurs, la situation fut la même, comme l'attestent maints rapports du Comité central des Juifs polonais.
Si le nombre exact de Juifs ayant péri entre les mains des Polonais pendant les deux premières années de la « paix » reste difficile à évaluer, les spécialistes estiment qu'ils furent entre 1 000 et 2 000. Il y eut parfois des cas isolés d'agression, mais aussi des pogroms sanglants - comme celui de Kielce, en juillet 1946, qui coûta la vie à 42 survivants de la Shoah. Ce fut à partir de ce moment que les Juifs survivants quittèrent la Pologne massivement pour aller à l'Ouest ou en Palestine, dans ce qui deviendra l'État d'Israël. Ils furent moins nombreux à quitter le pays après 1955 et la dernière vague de l'émigration juive est associée à la campagne antisémite initiée par le Parti communiste en 1968 (cf. Audrey Kichelewski, p. 54).
Des préjugés persistants
Aujourd'hui, en Pologne, un pays de 38 millions d'habitants, il ne reste que quelques milliers de Juifs. La destruction des Juifs de Pologne n'a pas, cependant, éliminé les préjugés antisémites. La Pologne est aujourd'hui l'un des pays où il existe un antisémitisme sans Juifs...
L'antisémitisme et les meurtres des Juifs pendant la guerre se trouvent, encore aujourd'hui, parmi les sujets les plus explosifs en Pologne. La défense « de la bonne réputation de la nation polonaise » est probablement le seul terrain d'entente sur lequel les antisémites, les nationalistes, les gens du centre politique et de la gauche trouvent le consensus et agissent de concert. « Mais nous avons le plus grand nombre de ''Justes parmi les nations'' ! » est la réponse quasi automatique que l'on peut entendre en Pologne lorsqu'un débat touche au problème de l'antisémitisme. Or, évidemment, les milliers de Justes n'expliquent en aucune façon le comportement des autres.
Cette « juste défense » ne fait que renforcer une certaine mythologie nationale qui existe dans la conscience polonaise. Quelques chiffres, d'abord : un sondage réalisé en janvier 2015 montre que seuls 33 % des Polonais associent Auschwitz à la tragédie juive, tandis que 47 % d'entre eux - chiffre étonnant - y voient surtout le lieu du martyre polonais. Un autre sondage de 2014 a trouvé 61 % de personnes considérant que le sort des Polonais pendant la guerre avait été comparable ou plus dur que celui des Juifs. En 2013, 23 % des Polonais croyaient toujours que les Juifs procédaient à des « crimes rituels », c'est-à-dire que presque un quart de la population adulte croyait encore que les Juifs ont tué Jésus Christ et qu'ils utilisent le sang chrétien dans la préparation du pain azyme3 !
Soixante-dix ans après la fin de la guerre, les discussions sur la Shoah nourrissent encore la scène politique. Le président de la République Andrzej Duda, conservateur et nationaliste, trouve déplorable que son prédécesseur Bronislaw Komorowski, pendant une cérémonie tenue le 10 juillet 2011, ait demandé pardon aux Juifs, au nom de la Pologne, pour le pogrom à Jedwabne.
Selon lui, les Polonais, dont l'histoire est forcément glorieuse, n'ont en rien à s'excuser auprès de qui que ce soit. Le ministre de la Défense nationale déclarait quant à lui à Radio Maryja (radio catholique ultra-conservatrice) qu'il n'était « pas certain » que les Protocoles des Sages de Sion soient une source fiable, mais que les « cercles juifs » nuisaient à la Pologne et, plus généralement, que les Juifs avaient une stratégie à long terme pour saboter les autres sociétés. Pawel Kukiz, le leader du troisième parti au Parlement, affirmait pour sa part, en décembre 2015, que des « banquiers juifs » financeraient aujourd'hui les activités d'opposition en Pologne !
Dans le code pénal polonais, il est précisé que ceux qui « portent atteinte à l'honneur de la nation »risquent des poursuites. Dans ce contexte, l'étude du rôle de la société polonaise dans la destruction du peuple juif se fait au péril des chercheurs et la Shoah reste un sujet à éviter. L'imposant musée de l'Histoire des Juifs polonais (récemment ouvert à Varsovie) en est un bon exemple. Le musée d'un peuple exterminé, dont la bâtisse s'élève sur les ruines du plus grand ghetto de l'histoire, le lieu de la souffrance ou de la mort de plusieurs centaines de milliers de Juifs, a été qualifié de « musée de la vie ». La direction du musée insiste aussi sur le fait qu'il ne faut pas se focaliser sur la Shoah, pour ne pas écarter les étapes plus positives de l'histoire des Juifs en Pologne. On peut se perdre dans la foulée des célébrations de la fierté nationale polonaise et oublier que, dans un pays qui est devenu un cimetière pour des millions de Juifs (3 millions de citoyens polonais), il n'existe aucun musée de la Shoah, aucun ouvrage de synthèse historique sur l'Holocauste et que, dans les universités polonaises, il n'y a aucune chaire de recherche sur l'histoire de la Shoah.
1. Une armée polonaise « autonome, alliée et belligérante » formée en France pendant la guerre, et qui lutte contre les Soviétiques à partir de 1919 sur le front ukrainien.
2. Après l'invasion allemande en 1939, un gouvernement de la république de Pologne en exil s'établit d'abord à Angers, puis à Londres après la défaite de la France en juin 1940.
3. Le pain que les Juifs mangent pendant la pâque juive pour commémorer la sortie d'Égypte.
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« La déjudaïsation de notre pays »
" Notre but principal, c'est l'élimination des Juifs des conseils municipaux [...] ! Nous voulons non seulement la déjudaïsation [...] des institutions de nos villes, mais nous voulons aussi bâtir un système politique, économique et culturel qui va mener à la déjudaïsation de notre pays et de notre vie. Dans notre combat contre les activités corrosives des Juifs, des francs-maçons et des communistes, nous nous appuyons sur les principes moraux greffés à notre nation par l'Église catholique."
Pamphlet du Parti national-démocrate, Tarnow, 18 décembre 1938
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JUILLET 1941 : MASSACRE À JEDWABNE
Jan T. Gross, professeur d'histoire à l'université Princeton, a publié trois livres qui ont profondément bouleversé l'opinion publique en Pologne (Les Voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de juifs en Pologne, chez Fayard en 2002 ; La Peur. L'antisémitisme en Pologne après Auschwitz et Moisson d'or, coédités par le Mémorial de la Shoah et Calmann-Lévy).
Le premier fait la lumière sur Jedwabne, une petite ville dont les habitants polonais (sans aucune participation directe des Allemands) ont brûlé vifs, en juillet 1941, près d'un millier de leurs voisins juifs. La Peur (2010) s'attaque au pogrom de Kielce, où la foule, enragée par les rumeurs (« Les Juifs enlèvent les enfants chrétiens pour prendre leur sang ! »), chercha à résoudre le « problème juif » dans sa ville une fois pour toutes. Moisson d'or (2014) traite du processus d'« aryanisation sauvage » qui s'est déroulé à travers la Pologne occupée, entre 1939 et 1945, et qui a continué après la Libération. Il n'est guère surprenant que les publications de l'historien américain d'origine polonaise aient soulevé en Pologne une réaction immédiate - et furieuse - non seulement parmi les spécialistes, mais surtout dans les médias et dans la sphère politique
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