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Suite à une rixe violente qui oppose des manifestants juifs qui défilent de Jaffa à Tel-Aviv pour le parti communiste et ceux qui marchent pour le concurrent socialiste l'Akhdut Haavoda, le bruit court que des habitants arabes ont été attaqués par les Juifs.

«  Dans toute la ville et de toutes parts, on vit des Arabes parcourir les rues en criant à leur coreligionnaires : « Musulmans, défendez-vous, les Juifs tuent vos femmes ! ». Alors dans tous les coins de la ville les Musulmans s'arment de gourdins ou de tiges de fer, s'attaquent aux Juifs qu'ils rencontrent, les blessant, les tuant »1

Le lendemain, les habitants arabes de Jaffa s'arment et s'en prennent au Juifs. Cinq colonies agricoles juives sont assiégées, et défendues par l'armée britannique.

Ces émeutes font 48 morts arabes et 47 juifs.

Le 1er mai 1921, dans l’intervalle entre la conquête du territoire par la Grande-Bretagne et la ratification de son mandat par la Société des Nations, des émeutes secouent la Palestine. C’était la première fois depuis les Croisades que les civils de Terre Sainte faisaient l’expérience de ce qu’on appellera plus tard, de façon sinistre, un incident de mortalité de masse. Et ce fut, pour le mouvement sioniste, un tournant dans sa perception de la « question arabe » et de sa propre relation à la force armée et aux représailles.

La déclaration Balfour, la conquête du pays par les Britanniques et la fin de la Grande Guerre avaient produit une euphorie dans le mouvement du Yishouv – c’est-à-dire les Juifs vivant dans l’Israël d’avant l’État – le convainquant que les rêves de souveraineté en Palestine étaient sur le point de se réaliser. Mais, comme l’écrit l’historien israélien Benny Morris, « la violence massive de 1921 a laissé une impression indélébile sur les sionistes, leur faisant prendre conscience de la précarité de leur entreprise 

La nécessité d’une défense forte – une conviction jusqu’alors limitée à quelques irréductibles – commence maintenant à se répandre dans la pensée sioniste dominante.

Les attaques arabes du mois de mai ont forcé un certain nombre de dirigeants du Yishouv à se demander – bien que ce ne soit qu’à huis clos – si le moment était venu d’“appeler un chat un chat”, c’est-à-dire de reconnaître qu’il existait bel et bien une hostilité arabe authentique, généralisée ou intense », a ajouté un autre historien, Neil Caplan.

Pour le Yishouv, les émeutes de mai ont marqué la première étape de la confrontation avec ce que l’universitaire israélienne Anita Shapira a nommé « la perspective terrifiante d’une guerre sans fin en vue » 2

La commission d'enquête nommée pour déterminer les responsabilités de ces émeutes en liste les causes :

« - mécontentement et hostilité envers les Juifs liées à l'immigration juive ...

- Les conflits raciaux ont été commencés par les Arabes et se sont vite transformés en un conflit de grande violence entre arabes et juifs, dans lequel la majorité arabe, généralement agresseurs, a infligé la plupart des pertes...

- Alors que l'agitation avait déjà commencé, un sentiment anti-juif déjà aigü s'est transformé en une émeute anti-juive. Une grande partie des communautés musulmanes et chrétiennes l'ont tolérée, même si elles n'ont pas encouragé la violence. Alors que certains arabes instruits semblent avoir encouragé la foule, les notables des deux côtés, peu importe leurs sentiments, ont aidé les autorités à apaiser les tensions.

- La police était, à quelques exceptions près, mal formée et inefficace, dans de nombreux cas indifférente et, dans certains cas, a dirigé ou participé à la violence. La conduite de l'armée était admirable partout. »

Les Juifs fuient Jaffa pour s'installer à Tel-Aviv, ville voisine (créée en 1909) et créent la Haganah, milice d'autodéfense qui deviendra l'armée de défense d'Israël à l'indépendance.

- Sir Herbert Samuel, haut commissaire britannique, nomme Amin Al-Husseini grand mufti de Jérusalem comme signe d'apaisement envers les Arabes.

 


Un précédent : les émeutes de Nabi Moussa

Ces émeutes ont eu lieu en 1920 . La fête de Nabi Moussa est autant politique que religieuse. Une procession part du lieu présumé de la tombe de Moïse (Moussa) près de Jéricho et se dirige vers Jérusalem, chaque année au moment de la Pâque Chrétienne. Le pélérinage aurait été créé par Saladin qui ne voulait pas laisser l'impression que la ville appartenait aux Chrétiens.

Un contemporain en retranscrit l'ambiance : «  Des Chrétiens du monde entier affluent massivement en cette saison. ; les Musulmans seraient bien avisés d'investir, eux aussi, la Ville sainte pour empêcher que les Chrétiens ne se l'approprient. Ils arrivent de toutes les villes du pays, mais aussi de pays limitrophes, en clans et en caravanes, se rangeant derrière leurs étendards et brandissant leurs armes, comme s'ils partaient au combat. Les autorités ont installé un canon près de la porte Saint-Etienne, en l'honneur du drapeau à l'effigie du Prophète, et escortent la procession en l'encadrant d'imposantes forces militaires et policières. L'aspect religieux de la manifestation n'a pour seul but que d'attirer les foules ; sans cela, elle serait moins populaire. Pour cette raison aussi, de la nourriture est distribuée aux participants. » 3

Le 4 avril 1920, Le maire arabe de Jérusalem, Moussa Qazem al-Husseini harangue la foule : «  Si nous n'utilisons pas la force contre les sionistes et contre les Juifs, nous n'en viendrons jamais à bout ! ».

La situation dégénère rapidement. Les quartiers orthodoxes sont attaqués aux cris de « les Juifs sont nos chiens » tandis que la revue nationaliste « La jeune Syrie » éditée à Jérusalem avec l'aide de la France écrit « La fin des étrangers est proche, les Juifs seront noyés dans leur propre sang ». L'émeute dure plusieurs jours. Elle constitue la première manifestation de violence des Arabes envers les Juifs de la vieille ville. Les autorités britanniques, pourtant informées quelques jours auparavant des risques réels, interviennent peu. Le sioniste Zeev Jabotinsky créé alors des groupes d'autodéfense pour pallier à l'incurie des britanniques. Cela ne suffit pas à empêcher une foule, attisée par des discours arabes haineux, de faire une dizaine de morts (cinq juifs, quatre arabes )et 250 blessés.

Conséquence des émeutes, au printemps 1920, le gouverneur anglais révoque le Maire et le remplace par une personne plus favorable aux sionistes, Raghib Bey Nashashibi, issue de la famille concurrente. Plus de deux cents personnes sont traduites en justice dont 39 juifs. Hadj amin el-Husseini est condamné à 10 ans de réclusion mais il a quitté la ville. Des émeutes ont aussi eu lieu en avril à Jaffa au cris de « vive Fayçal »,« à bas les Britanniques » et « égorgez les Juifs »

[ Sur les émeutes de Nabi Mouss lire le Rapport secret de la commission Pallin et le Rapport intérimaire de l'UNISPAL sur l'Administration civile de Palestine (Samuel, 1921, rapport) ]

 

Le rapport d’enquête de la commission Haycraft travaille sur la causes, et les solutions éventuelles à donner, de ces émeutes et s’interroge sur le nombre de Juifs en Palestine.

« La cause fondamentale des émeutes de Jaffa et des actes de violence subséquents est un sentiment parmi les Arabes de mécontentement et d'hostilité envers les Juifs, pour des raisons politiques et économiques, liés à l'immigration juive et à leur conception de la politique sioniste.

La cause immédiate des émeutes de Jaffa du 1er mai fut une manifestation non autorisée de Juifs bolcheviques, suivie de son affrontement avec une manifestation autorisée du Parti travailliste juif.

Les conflits raciaux ont été commencés par les Arabes et se sont rapidement transformés en un conflit de grande violence entre Arabes et Juifs, dans lequel la majorité arabe, qui était généralement les agresseurs, a infligé la plupart des victimes.

L'épidémie n'était ni préméditée ni attendue, et aucune des deux parties n'y était préparée; Mais l'état du sentiment populaire a créé un état d'esprit susceptible de produire un conflit sur toute provocation par les Juifs.

..Quand la confrontation avait commencé , un sentiment déjà aiguë de haine anti-juive l'a amplifié e t transformé en une émeute anti-juive. Une grande partie des communautés musulmanes et chrétiennes l'ont toléré, même si elles n'ont pas encouragé la violence. Tandis que certains des Arabes éduqués semblent avoir incité la foule à la violence, les notables des deux côtés, quels que soient leurs sentiments, ont aidé les autorités à apaiser la situation.

La police était, à quelques exceptions près, semi-formée et inefficace, souvent indifférente et parfois dirigeante ou participante à la violence.

La conduite des militaires était admirable partout.

Les raids sur cinq colonies agricoles juives découlaient de l'excitation produite dans l'esprit des Arabes par les rapports d'Arabes tués par des Juifs à Jaffa. Dans deux cas, des histoires de provocation non fondées ont été crues et mises à exécution sans que l'on fasse aucun effort pour les vérifier.

Dans ces raids il y avait peu de victimes juives et beaucoup d'Arabes, principalement à cause de l'intervention des militaires. »

 

Le rapport

- recense les exactions et l'insuffisance des forces de police britanniques

Des pillages à grande échelle ont eu lieu à Jaffa et Menshieh le dimanche et le lundi 1er et le lundi 2 mai, mais les pillards semblent avoir été limités aux éléments les plus pauvres et les plus ignorants de la communauté. Les pillards étaient presque exclusivement arabes, les victimes presque exclusivement juives. Les zones qui ont le plus souffert ont été les quartiers de Suk el-Deir et d'Ajami, où des magasins bien achalandés ont été forcés d'entrer et d'en retirer leur contenu. Des hommes, des femmes et des enfants devaient être vus en train de piller et de s'enfuir avec des biens de toutes sortes. Les quartiers résidentiels ont souffert dans une moindre mesure.

 

- considère que les émeutes sont inévitables lorsque le nombre de juifs augmente en Palestine

Tant que les Juifs restaient une minorité discrète, comme c'était le cas sous le gouvernement ottoman, ils n'étaient pas molestés ou mal aimés. Ce n'est qu'au moment où les Arabes se sont rendu compte que les Juifs exerçaient une influence prépondérante sur le gouvernement qu'ils ont manifesté un état d'âme, qui n'a nécessité qu'une petite provocation de la part d'un petit nombre de Juifs indésirables pour provoquer une explosion de colère populaire à l'encontre des Juifs en général.

 

- Dans un contexte d'antisémitisme arabe virulent Ce n'était pas une émeute ordinaire.

Les troubles ont fait rage pendant plusieurs jours avec intensité partout où les Arabes sont entrés en contact avec les Juifs, et se sont répandus dans le pays environnant, où les colonies juives, n'ayant rien à voir avec le bolchevisme, ont été attaquées avec férocité. La manifestation bolchévique fut l'étincelle qui enflamma le mécontentement explosif des Arabes et précipita une flambée qui se développa en une querelle arabo-juive.

Ces témoins affirment que le sionisme n'a rien à voir avec le sentiment anti-juif manifesté dans les troubles à Jaffa. Ils déclarent que les Arabes ne sont qu'anti-sionistes ou anti-juifs parce qu'ils sont avant tout anti-Britanniques, et qu'ils ne font que se servir du cri antisioniste pour faire échouer le mandat britannique. Nous sommes convaincus que ce n'est pas le cas. Bien qu'une tendance à profiter de n'importe quel trouble dans le pays ait pu avoir été présente dans l'esprit d'un très petit nombre pour ceci et cette raison, pourtant le sentiment contre les Juifs était trop authentique, trop répandu et trop intense pour être expliqué dans la manière superficielle ci-dessus ...nous ne doutons pas que les Arabes ont été les premiers à transformer cette querelle en conflit racial et, une fois cette question résolue, ils se sont comportés avec une sauvagerie qu'on ne peut tolérer.

 

- limitées cependant par l'attitude des notables arabes

Il semble évident qu'à plus d'une occasion, des Arabes en costume européen ont incité la foule ; mais les notables des deux côtés, quels que fussent leurs sentiments, étaient toujours prêts à aider les autorités à rétablir l'ordre, et nous pensons que sans leur aide, la flambée de violence aurait entraîné des excès encore plus graves.


- soulève le problème de l'achat des terres arabes

Les Arabes ont considéré avec suspicion les mesures prises par le Gouvernement avec les meilleures intentions, en se fondant sur ces doléances.

L'ordonnance de 1920 sur le transfert des terres, qui exige que le consentement du gouvernement soit obtenu pour toutes les dépossessions de biens immobiliers et interdit les transferts à d'autres personnes que les résidents en Palestine, est considérée comme ayant été introduite pour maintenir le prix des terres à un bas prix et pour jeter dans les mains des Juifs des terres qui sont sur le marché à un bas prix

 

- critique l'attitude des sionistes

L'attitude des sionistes responsables telle que révélée ci-dessus n'est pas négligeable, car elle est l'une des causes irritantes du mécontentement actuel.

Elle découle peut-être de l'habitude de considérer la Palestine comme " une terre abandonnée et abandonnée ", peu habitée par une population sans tradition de nationalité, où des expériences politiques peuvent être lancées sans susciter d'opposition locale.

 

La commission conclut :

« Nous pensons que beaucoup pourrait être fait pour apaiser l'hostilité existant entre les races si les responsables des deux camps acceptaient de discuter des questions qui se posent entre eux dans un esprit raisonnable sur la base que les Arabes devraient accepter implicitement la politique déclarée du gouvernement au sujet du foyer national juif, et que les dirigeants sionistes devraient abandonner et rejeter toutes prétentions qui iraient au-delà.

Il faut faire comprendre aux immigrés que, quelles que soient leurs prétentions historiques et religieuses, ils sont en fin de compte à la recherche d'un foyer dans un pays actuellement majoritairement arabe, et qu'il leur incombe d'adopter une attitude prévenante envers les personnes parmi lesquelles ils doivent souhaiter vivre en paix et en amitié. Les notables arabes, en revanche, doivent faire comprendre clairement aux Arabes qu'ils ne peuvent en aucun cas s'attendre à ce que le meurtre, la violence et le pillage soient tolérés. »

 

* * *

1 Témoignage du correspondant de l' Alliance israélite universelle, Henry Laurens, cité par Weinstock, Balfour p. 87

2 Oren Kessler, article du Times of Israël du 28 mai 2021

3 Khalil Al Sakakini, cité par Tom Segev in C'était en Palestine au temps de coquelicots, Ed. Liana Levi, p.157

 

Voir aussi :

- les émeutes de Jaffa

- le  rapport complet (Original en anglais)

- les conclusions et résumé du rapport anglais et traduction français

- le rapport interimaire du haut-commissaire britannique Herbert Samuel en 1921

 

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