Les Juifs à Rome1

La communauté juive de Rome est probablement la seule qui puisse vanter une présence ininterrompue pendant plus de 2000 ans: c'est sur la rive droite du Tibre qu'ils s'établirent en créant la plus ancienne communauté juive d'Europe. Les premiers contacts officiels entre Rome et Jérusalem remontent aux délégations envoyées par les Maccabéens à partir de 161 avant JC dans l'objectif de s'allier avec Rome contre la suprématie des Séléucides. Ce premier groupe s'accrut considérablement avec l'arrivée des prisonniers portés à Rome entre 63 et 61 avant JC à la suite de la guerre de Judée conduite par Pompé.

Les bas-reliefs de l'Arc de Titus représentent le cortège triomphal du général (Titus n'était pas encore empereur) après la conquête de Jérusalem en 70 après JC. Sur les reliefs apparaissent le chandelier à sept branches ainsi que les trompettes pillées après la destruction du Temple de Salomon. C'est à ce moment que commence la diaspora des Juifs dans l'Empire Romain.

Avec l'arrivée des esclaves portés par Titus et les nombreux exilés, Rome devint la ville avec la plus grande communauté juive : près de 50.000 présences. Le 14 juillet 1555 avec la bulle «Cum nimis absurdum» Paul IV institua le ghetto sur l'exemple du quartier juif de résidence obligatoire crée à Venise en 1516. L'élément qui différenciait le ghetto de Rome de celui de Venise était le climat d'intransigeance contre réformiste sans précédent: les juifs devaient vivre cloîtrés dans un quartier séparé du reste de la ville par des remparts et des portes d'accès, ils furent contraints à porter un signe distinctif, ils ne pouvait pas avoir plus d'une synagogue. De plus, la propriété leur étant interdite ils devaient vendre leurs biens aux chrétiens. Les seules activités qui leur étaient permises étaient le prêt à un taux fixé par les autorités et la vente de loques.

Les écoles furent réduites au nombre de cinq (Temple, Catalane, Castillane, Sicilienne et Nouvelle) et concentrées dans un seul édifice. Les commerces et les habitations en dehors du «claustrum» furent abandonnés.

La vie dans le ghetto devient très difficile lorsque le pape Paul V Farnese obligera tous les juifs des territoires pontificaux à se concentrer à Rome et Ancona, entre 1566 et 1569. À la fin du XVIème siècle, Clément VIII Aldobrandini ajouta Avignon aux villes de résidence de la communauté. Lorsque, entre 1798 et 1799 fut proclamée la république romaine par les troupes napoléoniennes, les habitants du ghetto furent particulièrement sensibles aux idées d'égalité et de fraternité soutenues par la révolution française. Nombreux sont les juifs qui s'enrôlèrent volontairement dans l'armée civique. Le 14 janvier 1814, les français abandonnèrent Rome et Pie VII de retour, inaugura l'âge de la Restauration. En attendant, l'opinion publique libérale, à Rome et à l'étranger, réclamait au pape l'abolition du ghetto. Mais il fallut attendre le 20 septembre 1870, la brèche de Porta Pia et donc la chute du pouvoir temporel du pape pour que finalement soit reconnue l'égalisation des juifs romains aux autres citoyens.

***

 

Les Juifs d'Italie2

[ site lyber-eclat.net]

Arnaldo Momigliano

(1985)

traduit de l'italien par Patricia Farazzi

I.

L'histoire italienne est un sujet toujours complexe. En son sein, aussi bien qu'en arrière-plan, il y a l'extraordinaire diversité des structures régionales et urbaines : l'histoire de Florence n'est pas l'histoire de Pise, ni celle d'Arezzo, de Sienne ou de Volterra. Dans les cas où la présence de Juifs est attestée, aux différences entre les traditions locales variées s'ajoutent des différences fondamentales relatives à l'attitude empruntée dans le passé à l'égard des Juifs. Une grande partie de l'Italie méridionale et de la Sicile — splendides centres juifs au Moyen âge — perdit ses communautés juives au XVIe siècle, pendant la domination espagnole. On oublie souvent que les Juifs furent mis à l'écart de la plus grande partie de la Lombardie pendant plus d'un siècle, jusqu'à 1714, quand les Autrichiens succédèrent aux Espagnols.
On doit en outre tenir compte des différences d'origine des Juifs eux-mêmes. Certains d'entre nous descendent des Juifs qui vécurent en Italie à l'époque de l'Empire romain. D'autres sont des Juifs ashkénazes qui, surtout au XIVe siècle, quittèrent l'Allemagne pour l'Italie. Au cours de ce même siècle, les Juifs français durent abandonner la France, et à la fin du XVe siècle et au cours du XVIe eut lieu l'émigration sépharade de l'Espagne et le retour au judaïsme des marranes d'origine espagnole. Les contacts avec l'Orient ont toujours existé, particulièrement à Venise et en Italie du Sud, tant qu'il fut permis aux Juifs d'y demeurer. D'autres Juifs provenant de pays musulmans furent attirés par le nouveau port franc de Livourne, dans la seconde moitié du XVIe siècle.
Pendant au moins deux siècles, Livourne fut la ville où les Juifs vécurent mieux que partout ailleurs, et il s'y développa ainsi ce style juif particulier que l'on retrouve dans les livres d'Elia Benamozegh et dont les peintures d'Amedeo Modigliani témoignent peut-être aussi. Les différences d'origine se reflétaient naturellement dans la diversité des rituels et des mélodies, et à leur tour ces diversités étaient préservées par des synagogues bien distinctes. On trouvait souvent trois synagogues dans une même ville — la scola italiana, la scola tedesca, la scola spagnola ; à Rome, jusqu'à très récemment, il y avait encore cinq synagogues qui maintenaient une distinction intéressante entre la scola catalano-aragonese et la scola spagnola.


Dans le Piémont, à côté des synagogues italiennes, sépharades et ashkénazes, nous avions ce curieux minhag apam1 — les trois très petites congrégations d'Asti, Fossano et Moncalvo — qui préservaient les restes d'un vieux rituel médiéval français avec son propre mahzor, ou livre de prières. Le fait que les Juifs étaient tolérés dans un des états de l'Italie ne signifiait pas pour autant qu'ils étaient tolérés partout dans ce même état. Et que les papes aient permis aux Juifs de vivre à Rome et à Ancône, où nous trouvons les Volterra, n'implique pas qu'ils leur aient permis de vivre à Bologne. Cette communauté, au sein de laquelle avaient travaillé et pensé Obadiah Sforno, Azariah de' Rossi et Samuel Archevolti, avait été éliminée en 1593 et n'avait plus existé, tout au moins officiellement, pendant plus de 250 ans. Au contraire, les Juifs ont connu une relative prospérité à Ferrare, sous cette même domination papale, et ont maintenu cette vivacité culturelle caractéristique sous la famille d'Este, jusqu'en 1597. Ce que l'on peut en partie expliquer par la situation agricole de la région, qui contribua, des siècles plus tard, au développement d'attitudes favorables au fascisme chez les Juifs de Ferrare.
Différents par leurs rituels et souvent séparés par des conflits d'intérêt, les Juifs d'Italie ne furent pas, toutefois, divisés par des différences linguistiques majeures comme leurs concitoyens chrétiens. La situation linguistique de l'Italie était déjà très complexe en soi. Ce que nous appelons italien fut avant tout une langue écrite jusqu'à la fin du XIXe siècle. Le peuple s'exprimait selon les différents dialectes, et les Juifs parlaient le même dialecte que les autres habitants du lieu. Les Juifs vénitiens parlaient et parlent encore le vénitien, et nous autres Juifs piémontais parlions piémontais. Mes parents parlaient piémontais entre eux et italien avec nous. Ainsi mes sœurs et moi étions-nous les seuls à avoir appris l'italien depuis notre plus tendre enfance dans notre petite ville du Piémont, et nous étions très admirés pour notre habileté linguistique. En grandissant, je revins au dialecte piémontais dans mes conversations en famille et avec mes parents — mais pas avec mes sœurs.
La vie du ghetto favorisa, sans aucun doute, certaines particularités. Le dialecte des Juifs romains est resté manifestement plus archaïque que celui des Chrétiens romains, et naturellement des phrases et des mots hébreux se sont introduits dans le dialecte local. Dans le dialecte des Juifs piémontais, on trouvait certains mots yiddish importés par des Juifs de provenance ashkénaze — les Ottolenghi, les Treves, les Diena, appelés à tenir un rôle important dans l'histoire italienne récente. Il était donc normal de parler du Becher pour Kiddush ou de l'Orzai (Jahrzeit) pour l'anniversaire d'une mort. Ce qu'il faut aussi garder à l'esprit en ce qui concerne les Juifs italiens, c'est que nous étions un petit nombre — un très petit nombre même et particulièrement au cours des derniers siècles. On pourrait tout au plus dénombrer 30 000 Juifs au début du XIXe siècle, en comptant les Juifs de Trieste, qui à cette époque dépendait de l'Autriche, et ceux de Nice, qui devint française en 1859. Ce qui équivalait à peu près à un millième de la population de l'Italie. Avant la dernière guerre, on en dénombrait à peu près 50 000. Dix mille d'entre nous furent assassinés par les fascistes et nazis alliés, dont onze membres de ma famille, parmi lesquels mon père et ma mère. Six mille juifs environ émigrèrent, pour ne plus revenir. D'autres s'égarèrent pendant la période de la persécution, quand le pourcentage des conversions fut plus élevé qu'à l'ordinaire. Comme nous le savons, parmi les convertis, il y eut le grand rabbin de Rome, Israël Zoller, baptisé à Santa Maria degli Angeli, à Rome, le 13 février 1945. Si la population actuelle oscille entre 30 000 et 35 000 Juifs, c'est parce que l'émigration en provenance de la Libye et en moindre part des pays de l'Est, a augmenté la population juive originelle. Ce chiffre équivaut à une personne sur deux mille de toute la population de l'Italie. La plus grande partie des Juifs sont aujourd'hui concentrés dans quelques grandes villes. La plus grande partie des anciennes synagogues, du moins celles qui existent encore, sont vides.

 II.


Chaque fois que je me trouve dans une ville italienne, j'essaie d'imaginer si, et comment, les Juifs y ont vécu. Je connais très bien certaines de ces villes. J'ai passé de nombreux étés dans la paix de la belle ville de Spoleto, en Ombrie. En me promenant dans ses rues, je peux reconstruire sans difficulté l'histoire de Spoleto depuis l'époque de Hannibal. Mais quand je pénètre dans la petite rue médiévale qui aujourd'hui s'appelle Via San Gregorio alla Sinagoga, je suis déconcerté. À quel moment la synagogue qui s'y trouvait cessa-t-elle d'être une synagogue? Le nom de la rue indiquerait-il que l'église de San Gregorio a été construite sur la synagogue? Et où sont les descendants des célèbres docteurs juifs de la Renaissance à Spoleto, parmi lesquels il faut citer David de' Pomis, l'auteur du dictionnaire hébreu-latin-italien Zemah David, «La descendance de David», dont je me servais quotidiennement dans mon enfance? Actuellement à Spoleto vit une seule famille juive, originaire de Rome. Je devrais peut-être ajouter qu'il y a deux ou trois ans, j'ai appris qu'un couple d'artistes juifs américains avait essayé de gagner leur vie en ouvrant un bar à sandwichs à Spoleto. J'espère que la chance leur a souri.


Du fait de la disparition des petites communautés juives, il est difficile de suivre les histoires familiales et, plus encore, les traditions culturelles locales. J'aimerais être en mesure d'expliquer pourquoi la famille Volterra a quitté la Toscane, où elle semblait bien établie à la Renaissance, pour aller à Ancône. Comme nous le savons, les histoires abondent à propos du départ du grand-père de Disraeli pour l'Angleterre, en 1748 : d'aucuns prétendent qu'il est parti de la petite, mais docte communauté de Cento, d'autres de Venise. Les recherches entreprises par Shlomo Simonsohn et ses collègues de Tel-Aviv clarifieront sans doute de nombreux détails, et le volume de Robert Bonfil1, publié à Jérusalem, nous a déjà appris bien des choses que nous ne savions pas sur les rabbins italiens de la Renaissance. Et même en Italie la recherche sur les Juifs est devenue à la mode.


Il est encore difficile de dire quoi que ce soit de précis même sur sa propre famille. J'envie mon collègue Vittore Corloni, éminent professeur d'histoire de Droit italien à l'Université de Ferrare, qui a été en mesure de reconstruire un arbre généalogique détaillé de sa famille depuis 1477 jusqu'à 1977, dans un livre dédié à la mémoire d'Umberto Nahon, publié à Jérusalem en 19782. S'il a réussi dans cette entreprise, c'est grâce au fait insolite que sa famille, les Colorni, est restée pendant plus de quatre siècles au même endroit, à Mantoue. À propos de ma famille, je peux tout au plus dire que vers le début du XIVe siècle, l'un de mes ancêtres eut la présence d'esprit de quitter la petite communauté juive de Montmélian, en Savoie, pour la capitale de la Savoie, Chambéry, où il est dûment déclaré comme Lionel — ou, si vous préférez, Yehudah — de Montmélian. La juiverie de Montmélian disparut virtuellement quelque cinquante années plus tard, quand les Juifs, qu'on rendait responsables de la peste noire, furent jetés dans des puits.


Après l'extension du Duché de Savoie au Piémont, les descendants de Lionel de Montmélian s'adonnèrent au commerce, au prêt, et exercèrent des fonctions de rabbins dans les petites communautés juives du Piémont : Busca, Cuneo, Mondovi, Asti, Chieri, Ivrea. Ils restèrent là pendant des siècles, incroyablement pauvres, dévots, et se consacrant à l'étude, jusqu'à ce que Napoléon apporte de nouvelles idées, de nouvelles espérances, et — comme mon grand-père, le dernier tsaddik, ou «homme juste» traditionnel, en Italie, ne cessait de le répéter — de nouvelles désillusions pour les Juifs italiens1.
Comment pouvons-nous expliquer l'explosion soudaine d'initiative, de créativité, de responsabilité politique et intellectuelle qui caractérise l'histoire des Juifs italiens après Napoléon, et surtout après 1848? C'est cette année-là que le roi de Sardaigne donna aux Juifs l'égalité, qui s'étendra ensuite à toutes les autres régions, au cours de ce qui devait être l'unification de l'Italie ; ce processus dura plus de vingt ans.
Il ne fait aucun doute que le facteur irrationnel — le patriotisme — eut une influence décisive. Je me limiterai à indiquer ce qui peut apparaître comme un fait absurde : l'enthousiasme imprévu d'un savant juif fondamentalement conservateur, Samuel David Luzzatto — Shadal — en 1848. Ce n'est pas un hasard si le Judaïsme illustré de Luzzatto parut en 1848. Ceci explique le rappel, dans cette œuvre, à la tradition des Juifs italiens, depuis l'époque de Shabbataï Donnolo et des différents membres de la famille Kalonymus de Lucca et Rome, jusqu'à nos jours. Et il est encore plus singulier que Luzzatto ait été ému de voir un homme d'origine juive, bien que baptisé, Daniele Manin, devenir président de la République révolutionnaire de Venise en 1848-49 ; les ancêtres de Daniele Manin s'étaient appelés Medina jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.


Ce patriotisme, cette dévotion à la nouvelle Italie du Risorgimento, nous l'avons dans le sang depuis l'époque de nos arrières grands-pères et de nos pères, indépendamment des réserves qu'ils ou que nous pouvions émettre quant à ce qui arrivait alors et arrive encore aujourd'hui en Italie. C'est ce qui explique que ma grand-mère pleurait chaque fois qu'elle entendait la Marcia Reale — l'hymne de la monarchie italienne — et si l'on peut pleurer pour une musique aussi épouvantable, on peut pleurer pour n'importe quoi. Plus sérieusement, ceci explique pourquoi durant la Première Guerre mondiale, les trois professeurs d'université qui moururent au combat étaient des Juifs, et deux d'entre eux étaient des volontaires. Un des héros les plus typiques de la Première Guerre Mondiale reste Roberto Sarfatti, étudiant de dix-huit ans, fils de cette Margherita Sarfatti qui fut ensuite la maîtresse et la biographe de Mussolini. Jusque dans les guerres tragiques d'Abyssinie et d'Espagne de 1936, où le jeune héros fut un de nos étudiants juifs de l'Université de Turin, Bruno Jesi, qui fut bientôt confronté aux lois raciales.
Il est très intéressant de constater que ce ne fut pas le changement des conditions économiques qui donna une nouvelle direction à la vie des Juifs italiens. Il ne fait aucun doute qu'il y eut de nouvelles opportunités et que ces opportunités furent saisies. La plus importante fut la possibilité de devenir agriculteurs et de posséder des terres. Les Juifs italiens, surtout dans le Piémont, la Vénétie, l'Emilie et la Toscane, furent prêts à acquérir des terres et à s'établir à la campagne ou dans les villes voisines de leurs terres. Ceci explique, incidemment, la forte tendance conservatrice de nombreux Juifs italiens. Mais les Juifs d'Italie ne devinrent jamais de grands capitalistes ou industriels. Aucune des quelques grandes industries, comme la Fiat, n'a été dans les mains des Juifs ; il y eut une tentative d'établir en Italie une filiale de la banque Rothschild — à Naples, précisément — mais elle fit long feu. Ce qui s'approche le plus d'une grande industrie dirigée par des Juifs, c'est le cas d'Olivetti, avec sa tradition particulière de haute et précise technologie et d'attention portée aux problèmes sociaux. De nombreux Juifs ont prospéré dans des industries de moyenne dimension, et dans le secteur des assurances ; d'autres, comme ma famille, restèrent attachés à la traditionnelle association judéo-italienne de banques et de filatures, auxquelles la concurrence japonaise, tout d'abord, puis la soie artificielle, infligèrent des coups mortels.
Mais il faut chercher ailleurs l'explication de la haute contribution des Juifs, aussi bien quantitative que qualitative, à la vie sociale et intellectuelle de l'Italie dans les dernières cinquante années. Avant tout, et même avant 1848, les Juifs avaient réussi à conquérir une excellente éducation moderne, malgré tous les obstacles légaux. Certains Juifs piémontais, comme le futur secrétaire de Cavour, Isacco Artom, furent envoyés faire leurs études à Milan, où, sous l'autorité autrichienne, il était permis aux Juifs de fréquenter les écoles publiques. Un banquier, membre de la famille Todros, émigra de Turin à Paris vers 1835 pour garantir à ses fils une bonne éducation. La future mère de Cesare Lombroso posa une unique condition à son père, un Juif piémontais, qui se disposait à arranger son mariage : le mari devait être un ressortissant autrichien, parce que, dans ce pays, l'éducation des enfants juifs était meilleure. C'est ainsi que Cesare Lombroso, le génie excentrique qui révolutionna la psychiatrie et bien d'autres choses, naquit à Vérone: et c'est là qu'il a son monument. C'est généralement à partir de la réorganisation de l'école traditionnelle, le Talmud Torah1, que les Juifs italiens ont pu accéder à la culture moderne avant de pouvoir être admis dans les écoles d'état. Quant aux universités italiennes, l'admission des Juifs y était limitée à un petit nombre, comme à Padoue et Ferrare, et presque toujours seulement à la faculté de médecine. Ensuite les Juifs italiens étudièrent avec zèle aussi bien dans les écoles italiennes qu'étrangères, et ils n'hésitaient pas à se rendre à l'étranger pour se perfectionner. Je crois que Leone Sinigaglia, le merveilleux musicien qui a recueilli les chants piémontais, a été l'unique élève italien de Mahler à Vienne : Sinigaglia est mort à Turin, quand les nazis-fascistes frappèrent à sa porte pour l'arrêter.

III.


Il est plus difficile de déterminer quelle fut la contribution de l'instruction traditionnelle juive à la rénovation de la culture judéo-italienne. Un fait est évident. Les études traditionnelles juives et la recherche et l'éducation modernes prospérèrent là où il y avait le plus de liberté et de bien-être. Dans certains cas, on reconnaît clairement la continuité entre l'éducation traditionnelle rabbinique et la formation moderne humaniste et scientifique. La culture traditionnelle juive était très forte dans des villes comme Trieste, Gorizia, Venise, Padoue, et Mantoue, spécialement sous l'autorité autrichienne, et également à Livourne et Ferrare. Au cours du XVIIIe siècle, naquit à Ferrare Isacco Lampronti, l'encyclopédiste talmudiste auteur du
Pahad Yitzhak ; neuf sections de son encyclopédie viennent d'être publiés en Israël. L'un des fondateurs de la littérature hébraïque moderne, Moshé Luzzatto, était de Padoue. Au XIXe siècle vécut à Gorizia, Isacco Reggio ; Shadal, le plus grand de tous, est né à Trieste et a enseigné à Padoue. Elia Benamozegh, l'adversaire mystique de Shadal, a vécu à Livourne, où, au début du siècle, David Azulaï terminait sa vie légendaire comme «Wunderrabbi».


Rome, qui possédait la plus grande communauté juive, ne se distinguait pas par son activité intellectuelle : dans cette ville, les Juifs étaient beaucoup plus pauvres et opprimés. Il faut souligner qu'en Italie, l'étude traditionnelle et l'emploi de l'hébreu comme langue savante ont été bien plus importants qu'on ne le croit généralement, du moins parmi les Juifs italiens d'aujourd'hui. Nous avons même «exporté» un membre de la tribu Artom qui devint Khakham1, ou rabbin, de la communauté sépharade de Londres (1886). C'était un poète qui écrivait en hébreu et en italien. Sabato Moraïs, qui partit aux Etats-Unis, devint, sans doute à sa plus grande surprise d'ailleurs, un des fondateurs du Jewish Theological Seminary de New York.


Il serait opportun de rappeler que le dernier poète italien en langue hébraïque fut une femme, Rachele Morpurgo, cousine et amie de Shadal, et membre de cette tribu Morpurgo qui a donné à l'Université italienne un grand nombre de ses professeurs et au Parlement italien quelques-uns de ses représentants ; en outre, c'est à cette lignée qu'appartient la première femme professeur de philologie comparée à l'Université d'Oxford, Anna Morpurgo.


Ainsi, si l'on considère la carte des diverses provenances des plus illustres professeurs, la correspondance entre la plus ancienne culture juive et la plus récente culture italienne apparaît évidente. Le plus grand savant en philologie comparée et, dans l'absolu, le plus grand philologue italien du XIXe siècle, Graziadio Isaia Ascoli, était de Gorizia, où il fut l'élève de Rabbi Reggio. Il fut l'ami intime, même après son départ pour Milan, de Shadal et du fils de Shadal, Filosseno Luzzatto, assyrologue prometteur, disparu prématurément. Le grand maître des études italiennes, Alessandro D'Ancona, qui fut directeur de l'Ecole Normale de Pise, a été élevé en Toscane. Les familles Venezian, Pincherle, Polacco, destinées à peupler les universités et le Parlement italien, étaient originaires de Venise et Trieste. Le docte rabbin de Mantoue, Marco Mortara, dont la bibliothèque eut une grande renommée, fut père et grand-père d'une famille exceptionnelle, dont le plus illustre représentant est sans aucun doute Ludovico Mortara (1855-1937), juriste de grand renom, président de la Cour Suprême de Cassation, ministre de la justice en 1919, et vice président du Conseil.

On pourrait citer à l'infini les exemples de cette continuité de tradition juive séculière et religieuse. J'ajouterai simplement un autre cas qui m'est toujours apparu comme le plus singulier. Au XVIIe, XVIIIe et avant le XIXe siècle, le nom de Mussafia est lié à une série de savants des études rabbiniques, de grande valeur. Le plus connu est Benjamin Ben Immanuel Mussafia, qui, à la fin du XVIIe siècle, publia en Hollande un supplément à ce qui reste la plus importante contribution italienne aux études talmudiques, le dictionnaire Arukh. Deux autres Mussafia, père et fils, se succédèrent comme rabbins et savants talmudistes à Split en Dalmatie, au début du XIXe siècle. Leurs dons linguistiques et herméneutiques furent ensuite appliqués à l'étude des langues romanes, par Adolfo Mussafia, leur petit-fils et fils respectif. Adolfo Mussafia, fils et petit-fils de rabbins, se convertit au catholicisme, et fut professeur à Vienne vers 1855, où il devint par la suite membre de la haute Chambre du Parlement viennois. Il introduisit dans la philologie romane une rigueur et une précision incomparables. À un âge avancé, il se considérait toujours plus comme italien, et non pas autrichien, et vers la fin du siècle il quitta Vienne, pour aller vivre et mourir à Florence. L'unique élève dévouée qu'il eut jamais fut Elise Richter, une femme juive qui vécut assez longtemps pour finir ses jours dans un camp d'extermination nazi.
Ce passage de la culture hébraïque à la culture laïque avec toutes ses particularités est déjà assez remarquable, mais ce qui est peut-être le plus typique chez les Juifs italiens, c'est que durant le XXe siècle ils ont réussi à avoir un rôle très important dans l'administration nationale comme fonctionnaires, juges, et surtout soldats. L'Italie a peut-être été le seul pays d'Europe où les Juifs ont été bien acceptés dans l'armée et dans la marine et ont pu atteindre les grades les plus élevés sans aucune difficulté. Les Juifs piémontais furent célèbres pour cela. Le général Giuseppe Ottolenghi, en qualité de ministre de la Guerre, fit beaucoup pour réorganiser l'armée italienne au début du siècle, après les désastres d'Afrique. Le général Roberto Segre, comme commandant d'artillerie dans la bataille de Piave en juin 1918, fut un des stratèges qui sauvèrent l'Italie. La profession militaire se transmettait de père en fils, comme dans le cas de Roberto Segre et, de manière encore plus évidente, dans le cas des deux éminents généraux, Guido Liuzzi et son fils Giorgio.
En 1939, quand les Juifs furent chassés de l'armée, de la marine, et de toutes les positions du gouvernement, la flotte italienne qui avait été reconstruite par l'architecte naval juif, le général Umberto Pugliese, était commandée par deux amiraux juifs, Ascoli et Capon, ce dernier étant le beau-père de Enrico Fermi. En 1940, la flotte italienne fut pratiquement détruite par les bombardements anglais dans le port de Tarente, et le général Pugliese fut rappelé pour sauver ce qu'il restait à sauver de cette flotte, qu'il avait construite et que les fascistes avaient perdue. Si j'ai bon souvenir, l'Amiral Capon fut livré aux nazis.
Pour offrir un cadre complet, il serait naturellement nécessaire de prendre en considération tous les secteurs de l'administration civile italienne, y compris le Ministère des Affaires Etrangères. Je citerai seulement, pietatis causa, le nom de Giacomo Malvano qui, au cours de sa position importante de secrétaire permanent du Ministère des Affaires Etrangères, contrôla la politique extérieure italienne pendant presque trente ans au tournant du siècle. Etant donné les liens étroits entre l'administration civile, l'université et la politique en Italie, l'accès à l'administration rendait plus simple l'entrée dans une université et dans la politique, et vice-versa. J'ai l'impression que le passage du ghetto à la classe supérieure se vérifia plus fréquemment dans les familles juives par l'entrée dans l'administration civile et l'université, que par des activités économiques prospères.


Les professeurs d'université ont représenté un pourcentage très élevé parmi les personnages remarquables de la politique italienne, du moins à partir de 1870. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, on alla jusqu'à tenter, sans y parvenir, de limiter le nombre de professeurs d'université qui pouvaient être membres de la Chambre des Députés. Des professeurs d'université devinrent souvent ministres de la couronne et même présidents du Conseil. Dans ce sens, en 1910, Luigi Luzzatti, l'unique juif président du conseil, témoignait parfaitement de ce modèle. Il avait été un haut fonctionnaire et aussi un professeur de droit à l'université.

Mais d'autres facteurs contribuèrent au prestige des Juifs en politique. L'un d'eux fut cet avantage, que possédaient certains, d'avoir des parents étrangers, et surtout britanniques. Les liens de parenté, du côté de sa mère anglaise, furent très utiles à Sidney Sonnino, protestant, mais fils d'un propriétaire terrien juif d'origine toscane. Il fut deux fois, assez brièvement, président du conseil, mais il est surtout connu pour avoir été ministre des Affaires étrangères pendant toute la Première Guerre mondiale. Il restera toujours associé au nom de son ami juif, le sénateur Leopoldo Franchetti, avec qui il entreprit l'une des recherches les plus approfondies sur les problèmes sociaux italiens. Les liens avec l'Angleterre furent aussi importants pour Ernesto Nathan, maire de Rome au début de ce siècle et chef de la maçonnerie. La branche anglaise de sa famille avait été très amie avec Giuseppe Mazzini pendant son exil en Angleterre.


Il faut considérer un deuxième élément, l'importance décisive des Juifs de Trieste dans ce que l'on appelle l'irrédentisme, la revendication de Trieste par l'Italie. Je reviendrai brièvement dans un instant sur l'aspect culturel du problème. Quant à l'aspect politique, l'irrédentisme politique de Trieste s'incarna dans la personne de trois Juifs : Felice Venezian, Salvatore Barzilaï et Teodoro Mayer. Le caractère italien de Trieste était en grande partie dû aux Juifs qui, bien que souvent d'origine allemande ou orientale, choisirent toutefois l'Italie, cette Italie au-delà de la frontière qui semblait leur offrir cette égalité dont ils étaient privés dans l'Empire autrichien.
Enfin le socialisme vint. En Italie, seul un petit nombre parmi les socialistes juifs étudièrent à fond Karl Marx. Une exception : l'économiste Achille Loria de l'Université de Turin qui fut attaqué par Engels et eut une mauvaise réputation à gauche. Il était en revanche destiné à exercer une influence durable en Amérique sur Frederick Jackson Turner et ses hypothèses sur la frontière. Mais le socialisme comme mouvement messianique attirait les Juifs, en Italie comme ailleurs. Il leur offrait une foi alternative. Emanuele Modigliani, Claudio Treves et Rodolfo Mondolfo sont peut-être les Juifs italiens socialistes les plus importants de la première génération.


Comme membre d'une famille qui a une place permanente dans l'histoire du mouvement socialiste italien, j'ai toujours pensé que, dans un certain sens, l'idée messianique n'était pas très déterminante. Le penseur le plus original parmi mes parents socialistes, Felice Momigliano, professeur de philosophie à l'Université de Rome, s'efforça de concilier le socialisme, Mazzini et les prophètes juifs, mais il fut expulsé du Parti socialiste lorsque la guerre éclata en 1915. Sur le caractère énigmatique et tragique de ce penseur religieux, qui fut fondamentalement un juif réformé comme son ami Claude Montefiore — dans un pays où il n'y avait pas de judaïsme réformé organisé — il y aurait beaucoup à dire, si nous voulons comprendre pourquoi les Juifs eurent dans la vie italienne une part bien moindre que celle qu'ils avaient espérée. On peut sans doute dire la même chose concernant l'autre nom important de ma famille, Attilio Momigliano, l'interprète de Dante, de l'Arioste, de Manzoni, dont il comprit profondément l'inspiration catholique. Bien qu'il eût de nombreux élèves dévoués dans les universités de Pise et de Florence, Attilio fut terriblement seul.


Je me contenterai de dire ici que c'était effectivement le problème pour ces écrivains juifs italiens que Stuart Hughes a récemment réunis sous le titre suggestif de
Prisoners of Hope («Prisonniers de l'espoir»). Ce que mon ami Stuart Hughes aurait peut-être pu mettre plus précisément en lumière, c'est que les écrivains italiens d'origine juive ont naturellement existé, et à tous égards, au XIXe siècle. Tullio Massarani et Giuseppe Revere, deux amis qui ont largement contribué à la diffusion de l'œuvre de Heine en Italie, furent abondamment lus et hautement considérés. Ils avaient bien conscience d'être juifs et affichaient même leur judaïsme ; ce qu'on retrouve également chez d'autres écrivains, peut-être moins connus, comme David Levi, auteur de poésies à thèmes juifs, ou Enrico Castelnuovo, auteur d'un roman sur les Juifs italiens, I Moncalvo, et entre parenthèses, père du mathématicien Guido Castelnuovo.


Des écrivains des plus jeunes générations, par exemple la poétesse juive, à moitié anglaise, Annie Vivanti — qui fut aimée par Carducci — n'admirent pas volontiers leur judaïsme jusqu'en 1939. Trois des plus grands écrivains étaient de Trieste, ou des environs, Italo Svevo, Umberto Saba, et Carlo Michelstaedter. Ce dernier, un penseur extraordinaire, se suicida à vingt-trois ans. Un quatrième, Alberto Moravia, vit à Rome, mais est d'origine vénitienne.
Svevo, Saba et Moravia prirent des pseudonymes, mais alors qu'Italo Svevo et Alberto Moravia cachaient derrière leurs pseudonymes les noms non italiens de Schmitz et Pincherle, Saba, dont le vrai nom était Poli, voulait manifester secrètement son attachement à sa mère juive, plutôt qu'à son père chrétien. Quand la persécution des Juifs rendit absurde le fait de nier sa propre origine juive — et Carlo Levi, Giorgio Bassani, Natalia Ginzburg ne l'avaient jamais reniée — demeura un problème plus profond : qu'est-ce que le judaïsme pouvait signifier pour ces écrivains? Primo Levi, naturellement, constitue l'exception : il a réellement le sens de la tradition juive, mais pour l'acquérir, il a dû réussir à survivre dans un camp d'extermination nazi.

IV.


La société juive d'Italie s'est développée selon ses lignes propres — réalistes, liées aux affaires, relativement ouvertes à des idées extérieures, mais fondamentalement introspectives, préoccupées de justice sociale et en même temps méfiantes à l'égard des nouveautés excessives. Musique, peinture, littérature, socialisme, science, impliquèrent profondément les Juifs italiens. La musique profane avait été l'un de leurs centres d'intérêts depuis la Renaissance. Il faut citer les compositeurs Vittorio Rieti, Alberto Franchetti, Mario Castelnuovo-Tedesco, et Leone Sinigaglia. La peinture était un fait plus récent. Ce n'est peut-être pas un hasard si le leader socialiste Emanuele Modigliani et le peintre Amedeo Modigliani étaient frères. Les scientifiques juifs firent preuve de préoccupations méthodologiques peu communes : deux Juifs, Eugenio Rignano et Federico Enriquez, créèrent cet important forum international de la méthodologie scientifique, que fut la revue Scientia.


À quel point cette attitude méditative, introspective, contribua à la grandeur des mathématiciens, physiciens, chimistes italiens, je ne peux que le supposer intuitivement, en pensant à certains d'entre eux qui furent mes parents ou mes amis. Où prenait racine la légendaire imagination mathématique de Tullio Levi-Civita? Le fascisme rejeta la plus grande partie de ces Juifs qui avaient derrière eux de solides traditions libérales ou socialistes ; alors que des intérêts économiques poussaient d'autres juifs à une implication directe avec le fascisme. L'un des plus honnêtes fut Gino Olivetti, le représentant des intérêts industriels au sein du fascisme. Des sympathies idéologiques pour le fascisme se manifestèrent aussi chez des juristes comme Gino Arias et Giorgio del Vecchio, qui voulaient une réforme de l'État italien à partir de lignes corporatives. J'ai déjà mentionné la situation particulière de Ferrare, où le maire fasciste fut un juif portant un prestigieux nom juif, Ravenna.
Mais la plus grande partie des Juifs étaient mis à l'écart. Et des hommes comme Vito Volterra, enseignant et sénateur de très grand prestige, parlèrent ouvertement et sans crainte, au nom de la majorité des Juifs. Au nom de Vito Volterra, je voudrais au moins ajouter celui de mon professeur romain, Giorgio Levi della Vida, orientaliste de renommée internationale qui fut, pendant quelque temps, au cours des années de persécution, professeur à l'Université de Pennsylvanie. Max Ascoli, qui en 1924 avait publié un livre sur judaïsme et christianisme (Les chemins de la Croix), émigra aux Etats-Unis en 1931 ; Piero Sraffa, l'économiste, quitta l'Italie pour l'Angleterre (Cambridge) encore plus tôt. L'opposition active fut incarnée par les deux frères Carlo et Nello Rosselli, c'est dans leur maison, proche de Pise, que Mazzini était mort. Tous deux furent assassinés sur l'ordre de Mussolini. La répugnance envers le fascisme était répugnance envers Mussolini. Dans sa carrière, il avait été aidé par des Juifs, aussi bien des hommes que des femmes. Il les avait exploités sans retenue, surtout les femmes — et les avait trahis. Il trahit sa maîtresse juive Margherita Sarfatti et sa vieille compagne Angelica Balabanoff et d'innombrables amis des premières années. Quand vint l'heure de la rébellion, les Juifs entrèrent dans la Résistance, ils s'en firent les guides, et en son nom, ils moururent.


Umberto Terracini, le leader communiste juif résista à vingt ans d'internement dans une prison fasciste, il fut président de l'assemblée constituante qui suivit le référendum de 1946. Guido Castelnuovo survécut à la persécution pour devenir en 1946 le premier président de l'Accademia dei Lincei, qui venait de renaître. Mais une génération entière avait été privée de ses meilleurs représentants : des hommes comme Eugenio Colorni, le philosophe, Leone Ginzburg, le critique, Emmanuele Artom, le jeune historien du judaïsme, et Sergio Diena, un héros souriant, plein d'intelligence et de détermination. Les morts de la Résistance, ajoutés aux morts dans les camps de torture nazi-fascistes, créèrent un vide qui n'est pas encore comblé. Ce qui a rendu plus improbable l'existence d'une variété juive d'Italiens.
Mais le problème n'était pas nouveau. On peut le vérifier de toute évidence chez un grand nombre d'écrivains comme Italo Svevo, d'un côté, tellement imprégné de culture juive et d'un autre, tellement hésitant à admettre son passé juif. Pour certains Juifs, il y eut un choix direct en faveur du retour au judaïsme à travers le sionisme et l'immigration en Palestine. Mais ceux qui, comme moi, ont eu la chance de connaître la vieille génération de sionistes italiens — Dante Lattes, Alfonso Pacifici — et d'avoir pour ami Enzo Sereni, savent aussi à quel point leur choix ne fut pas simple. Ce n'est pas un hasard si Enzo Sereni est revenu en Italie pour combattre et mourir au nom de ce qu'il avait toujours reconnu, au cours de conversations privées, comme des idéaux indissociables, le sionisme et l'antifascisme.
L'étude du Talmud avait pratiquement cessé de représenter un intérêt pour les Juifs italiens à la fin du XVIIIe siècle. Même Shadal ne s'intéressait plus au Talmud. Le judaïsme réformé, comme je l'ai dit, n'avait pas de racines en Italie. Des tendances mystiques et cabalistiques perdurèrent plus longtemps, bien après que Moshe Luzzatto eut transféré son Maggid 1 — l'«ange» qui l'accompagnait — de Padoue à Amsterdam. Dans sa vieillesse, mon grand-père se consolait en lisant le Zohar chaque soir, et il chantait l'hymne hébraïque de Siméon Labi, «Heureux que tu es, bar Yohaï ! Il t'a béni», pour Lag ba'Omer, l'anniversaire de la mort de Siméon bar Yohaï, que les cabalistes considèrent comme l'auteur du Zohar. Mais dans les faits, la culture juive a rarement été transmise de la manière dont, nous Juifs, entendions qu'elle le soit. Si les Juifs eux-mêmes connaissent si peu leur judaïsme, ils ne peuvent certes pas se lamenter de ce que les autres le comprennent moins encore. Même Benedetto Croce, qui fut si proche de nous durant les persécutions, ne pouvait que recommander aux Juifs de s'efforcer de faire disparaître leurs particularités. Ce serait une folie de conclure sur une note optimiste, alors qu'un enfant juif a été assassiné dans la synagogue de Rome, et ceci en 1982, sans qu'aucun soulèvement de l'opinion publique ne se manifeste. Me reviennent en mémoire les mots de Nachman Bialik sur l'assassinat des enfants, mais je ne les répèterai pas. Et à la différence d'Immanuele di Roma, notre vieil ami qui, pour n'être pas ami de Dante, était au moins celui de Cino da Pistoia, je n'ai nullement l'intention de donner un conseil au Messie. Et je ne dirai donc pas: «Mais si tu as l'intention de chevaucher un âne, mon Seigneur, alors retourne dormir.»


Je chercherai plutôt quelque consolation dans les paroles de mes plus lointains prédécesseurs, le chroniqueur Ahimaaz d'Oria dans l'Italie méridionale, qui écrivit son livre des généalogies en 4814 de la création du monde (1054 de l'ère chrétienne) — le premier historien juif des Juifs d'Italie : «Je consignerai avec ordre les traditions de mes pères, qui furent conduits en un bateau le long du fleuve Pison, le premier fleuve d'Eden, avec les prisonniers que Titus captura dans la Ville Sainte, couronnée de beauté. Ceux-ci parvinrent à Oria ; ils s'y établirent, et prospérèrent dans des entreprises remarquables ; ils crûrent en nombre et force et continuèrent à avoir de la chance. Parmi leurs descendants, un homme éminent excella par sa culture ... maître de la connaissance des Lois de Dieu, célèbre pour sa sagesse parmi les siens. Son nom était ...1 »


Ahimaaz dit «Rabbi Amittai». Mais nous pourrions quant à nous écrire un autre nom, celui de «Vito Volterra».

 

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L’Italie fasciste et les Juifs

Publié le 5 juillet 2009

[site blogthucydide.wordpress.com ]

1932 : Mussolini déclare qu’« il n’existe pas d’antisémitisme en Italie ». 1938 : le Giornale d’Italia écrit : « les Juifs n’appartiennent pas à la race italienne. » L’évolution des rapports entre Juifs et pouvoir fasciste de 1922 à 1945 est à l’image de ces deux citations : de la tolérance à la persécution. Comment l’expliquer ?

 

Le film de Roberto Benigni La Vie est belle, récompensé par trois oscars en 1998, est venu rappeler, s’il le fallait, que les Juifs d’Italie furent eux aussi victimes d’un antisémitisme d’Etat. Un antisémitisme qui était toutefois différent de celui des nazis. Et qui ne s’appliqua qu’à partir de 1938. Auparavant, les Juifs, en Italie, n’avaient pas de soucis à se faire. Cette évolution des rapports entre le régime fasciste et les Juifs en Italie mérite donc d’être analysée.

Le nazisme « représente la barbarie sauvage » (Mussolini)

De 1922, date de la conquête du pouvoir par les fascistes, au début des années 1930, les relations entre le régime et les Juifs ne connurent pas de trouble particulier, en dépit, cependant, de quelques ambiguïtés.

Lorsque le parti fasciste prit le pouvoir en 1922, à l’issue de la marche sur Rome, les Juifs d’Italie n’avaient a priori aucun souci à se faire. En effet, le parti de Benito Mussolini n’exprimait aucune hostilité vis-à-vis des Juifs. [1] Certains Juifs avaient même adhéré au fascisme, rejoignant, dès 1921, le parti fasciste. Environ 20 % des Juifs furent des sympathisants du régime, principalement des membres des professions libérales, de la bourgeoisie, surtout des urbains. [2]

Avant la prise du pouvoir par Mussolini, les Juifs d’Italie étaient l’une des communautés les mieux intégrées d’Europe. Dans ce pays, les Juifs étaient des Italiens comme les autres. Ils vivaient dans un « éden ». [3] Au lendemain de l’unification italienne, en 1861, l’Etat s’était basé sur la laïcité, ignorant donc les différences religieuses et permettant, ainsi, l’intégration de toutes les communautés dans la nation.

Certes, il existait bien un certain antisémitisme. Le catholicisme, d’une part, voyait dans les Juifs le peuple déicide. La revue jésuite La Civiltà cattolica par exemple, exprimait le sentiment antijuif d’un courant, mais qui était minoritaire. D’autre part, quelques nationalistes et fascistes faisaient preuve d’un antisémitisme virulent, comme en témoigne Giovanni Preziosi qui, dans sa revue La vita italiana, dénonçait un complot juif internationaliste. L’antisémitisme politique rejoignait l’anticapitalisme cosmopolitique. Mais cet antisémitisme-là, lui aussi, ne se diffusait que dans un cercle restreint de la droite fasciste. [4]

Mussolini éprouvait un sentiment de profond mépris pour le nazisme. [5] Ainsi, après sa rencontre avec Hitler le 14 juin 1934, il déclara à propos du Führer : « Ce raseur m’a récité Mein Kampf, ce livre indigeste que je ne suis jamais parvenu à lire. Je ne me sens aucunement flatté de savoir que cet aventurier de mauvais goût a copié sa révolution sur la mienne. […] Cet Hitler est un être féroce qui fait penser à Attila. » [6] En août de la même année, le chef de l’Italie confia à la presse : « Le national-socialisme en Allemagne représente la barbarie sauvage et ce serait la fin de notre civilisation européenne si ce pays d’assassins et de pédérastes devait submerger le continent. » [7]

Mussolini ne méprise pas seulement la doctrine nazie. L’antisémitisme semble aussi absent du fascisme. Ainsi, en 1929, dans un discours, le Duce affirma que les juifs étaient les plus Romains des Italiens. [8] En 1932, conversant avec l’écrivain et journaliste Emil Ludwig, il réaffirma qu’il n’existait pas d’antisémitisme en Italie : « Il n’y a plus de races à l’état pur. Même les Juifs ne sont pas demeurés sans mélange. […] Je ne crois pas qu’on puisse apporter la preuve biologique qu’une race est plus ou moins pure, plus ou moins supérieure. […] La fierté ne nécessite pas un état de transe provoqué par la race, l’antisémitisme n’existe pas en Italie. Les Juifs italiens se sont toujours bien comportés comme citoyens et bravement battus comme soldats. Ils occupent des situations éminentes dans les universités, dans l’armée, dans les banques. Il y en a toute une série qui sont officiers supérieurs : le commandant de la Sardaigne, le général Modena, un amiral de la flotte, un général d’artillerie et un général des bersaglieri. [9] » [10] En 1934, il fit état de ses sentiments sionistes à Nahum Goldman, un homme politique et leader sioniste d’origine lituanienne.

Après l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933, l’Italie accueillit de nombreux Juifs allemands qui fuyaient le régime hitlérien. Mussolini eut même deux maîtresses juives : Angelica Balabanov et Margherita Sarfatti.

Néanmoins certaines ambiguïtés existaient, du moins plusieurs mois précédant les premières mesures antisémites. En 1934, à Turin, furent arrêtés dix-sept antifascistes dont onze Juifs. À cette occasion, la presse d’Etat dénonça « les Juifs à la solde des exilés antifascistes ». À partir de 1936 les attaques antisémites dans la presse se multiplièrent. Des manifestations antisémites eurent lieu à Ferrare. [11]

Mobiliser les masses contre un ennemi commun

Mais l’attitude du pouvoir fasciste vis-à-vis des Juifs changea à partir du milieu des années 1930.

Quel fut le rôle du rapprochement avec l’Allemagne nazie dans ce revirement ? Mussolini et Hitler instaurèrent un axe Rome-Berlin en 1936, c’est-à-dire une alliance entre leur deux pays. Ce rapprochement se traduira encore par la signature du pacte d’Acier le 22 mai 1939. Mais ce qui est certain, c’est qu’Hitler n’avait jamais rien demandé à Mussolini : l’Italie ne mit donc pas en œuvre une politique antisémite sur la pression des Allemands.

En réalité, l’évolution vers l’antisémitisme d’Etat releva plus d’une dynamique idéologique et politique propre au fascisme. C’est sur ce plan qu’il faut considérer le rôle joué par le rapprochement avec l’Allemagne hitlérienne. En effet, la question se pose de savoir si le Duce agit par mimétisme. En effet, il était revenu de ses voyages en Allemagne exalté, impressionné notamment par l’attitude des foules. Il eut le sentiment qu’une société totalitaire naissait plus rapidement en Allemagne qu’en Italie. Il aspira donc à changer le peuple italien, trop humaniste selon lui, trop doux : il fallait le « prussianiser ». [12]

La guerre d’Éthiopie, en 1935-1936, marqua une première étape dans la mesure où elle introduisit le racisme dans les esprits. En effet, Mussolini justifia la conquête par l’infériorité des Africains par rapport aux Italiens. En avril 1937, une loi contre le métissage fut édictée : il était désormais interdit aux Italiens d’avoir la moindre « relation à caractère conjugal » avec des Éthiopiennes. Cette guerre fut l’apogée du régime, elle fut très populaire, même des antifascistes se satisfaisaient de cette conquête ! En revanche, l’implication de l’Italie dans la guerre d’Espagne, par le soutien que Mussolini accorda aux troupes franquistes, fut beaucoup moins appréciée. Le régime comprit alors qu’une mobilisation permanente des masses était nécessaire. Il fallait inventer un autre ennemi. Cet ennemi allait être le Juif.

Mussolini, par émulation avec l’Allemagne, entendait accélérer la transformation totalitaire de la société, c’est-à-dire créer l’« homme nouveau » qui ferait des Italiens un peuple discipliné, compact et solidaire. Il fallait régénérer la race. En inventant un ennemi, Mussolini créait aussi la figure d’un « anti-Italien » pour mobiliser l’opinion : désormais, les Juifs devenaient les « contre-modèles de l’homme nouveau fasciste ». Les mesures antisémites du régime fasciste s’inscrivent donc dans le projet de la révolution totalitaire.

En 1938, les premières mesures antisémites furent donc prises. Le 14 juillet, le Giornale d’Italia publia un article non signé intitulé « Le fascisme et les problèmes de la race ». Dans ce « Manifeste des scientifiques racistes » approuvé par Mussolini, on pouvait notamment lire, entre autres : « Les races humaines existent ; il y a des races inférieures et supérieures ; le concept de race est purement biologique ; la population italienne est d’origine aryenne ; il est temps que les Italiens se déclarent franchement racistes ; les Juifs n’appartiennent pas à la race italienne. » [13]

Le 22 août, un recensement spécial des Juifs fut ordonné et une Direction pour la démographie de la race fut créée au sein du Ministère de l’Intérieur. Le 7 septembre, les Juifs étrangers furent contraints de quitter le pays. Le 17 novembre, un décret-loi visa les juifs nationaux. Des critères à la fois biologiques et religieux furent établis pour définir le Juif. Une série d’interdictions frappa la communauté juive d’Italie : mariages avec des « aryens », service militaire, professions en rapport avec la Défense, emplois dans les administrations publiques et paraétatiques… La défense de la race italienne était à l’ordre du jour, comme en témoigne, par exemple, la couverture du premier numéro de la revue de propagande La difesa della razza de septembre 1938 : on y voit le glaive fasciste séparer la tête de l’aryen de deux autres, chamitique et sémitique. En particulier, on peut noter le nez crochu et la barbe épaisse caractéristiques du « Juif éternel ». [14]

Cependant, les Juifs adhérant au parti fasciste et leur famille, les anciens combattants juifs ou les familles juives dont l’un des leurs avait été tué à la guerre, bénéficièrent d’exemptions. Il n’en reste pas moins que les Juifs d’Italie étaient devenus des citoyens de seconde zone.

Une population italienne globalement indifférente

Les mesures furent appliquées avec rigueur. La presse, en particulier, donna libre cours à sa haine envers les Juifs et multiplia les attaques antisémites, parfois très virulentes. Ainsi, en septembre 1940, le journal Libro et Moschetto publia une caricature dont la légende était : « Comment nous nous souviendrons du Juif en l’an 2000 ! » Elle représentait un Juif, au nez crochu, enfermé dans un bocal de formol. Sur ce bocal était apposé l’étiquette : « fetus judeum, fac-similé d’une sale race ayant vécu jusqu’en 1940 et exterminée ensuite par des hommes de génie. » (illustration ci-contre) [15]

La population italienne, dans son ensemble, ne fut pas favorable à ces mesures contre les Juifs. Mais les opposants ne furent qu’une minorité à faire entendre leur voix. Un millier de personnes furent exclues du parti fasciste pour avoir pris position en faveur des Juifs. Primo Levi racontera comment il put poursuivre ses études grâce à l’aide de certains universitaires, alors que le secteur de l’enseignement était particulièrement touché par la législation antisémite.

Celle-ci était mise en œuvre avec une vigueur variable selon les lieux. À Trieste, les Juifs firent face, en plus d’une administration zélée, à une population hostile. Primo Levi racontera plus tard, dans Le Système périodique, dans quel climat il évolua à partir du moment où les lois antisémites furent promulguées : « Depuis quelques mois que les lois raciales avaient été proclamées, j’étais peu à peu isolé. Mes compagnons chrétiens étaient des gens civilisés ; aucun d’eux ne m’aurait adressé un mot ou un geste d’hostilité mais je les sentais s’éloigner… » Globalement, c’est l’indifférence qui régnait dans la population. [16]

Cette politique antisémite était une politique de discrimination et de persécution. Mais elle ne visait aucunement à l’extermination des Juifs. D’ailleurs, ce qui le montre bien est l’attitude des autorités italiennes à l’égard des Juifs dans leurs zones d’occupation. Dans le sud-est de la France et en Croatie elles protégèrent non seulement les Juifs nationaux mais aussi les Juifs étrangers. L’exemple célèbre, et tragique, de la déportation des enfants d’Izieu nous le montre : ces enfants étaient en sécurité, en France, dans la zone d’occupation italienne et ne furent en danger que quand les nazis envahirent cette zone. Le 19 mars 1943, après la lecture d’un rapport sur les atrocités nationale-socialistes, Mussolini ordonna de ne pas livrer un seul des 25 000 Juifs se trouvant dans sa zone d’occupation. [17] En Croatie aussi, le Duce tenta le plus possible de protéger les Juifs contre les Allemands. Cette attitude s’explique par des raisons géopolitiques [18] : l’Italie fasciste souhaitait se démarquer des nazis et affirmer sa singularité par rapport à l’Allemagne.

Cependant, une nouvelle évolution se produisit à partir de 1943, sous la République de Salò. [19] Dans la zone qu’elle contrôlait en Italie, l’Allemagne nazie se comportait comme dans les autres pays occupés, en puissance prédatrice. C’est à cette époque-là que commencèrent les déportations des Juifs d’Italie. Ce fut d’autant plus aisé que les mesures antisémites prises par les fascistes depuis 1938 avaient préparé le terrain aux nazis. Dès le 16 septembre 1943, un premier convoi partit vers Auschwitz. Début octobre, un bureau chargé des « opérations antijuives » fut créé à Vérone. En novembre, une rafle envoya 1022 habitants du ghetto de Rome, l’une des plus anciennes communautés juives du pays, à Auschwitz où 90 % furent assassinés dans les chambres à gaz. Des camps de transit furent créés, comme celui de Fossoli, par où passa Primo Levi. [20]

La milice et la police italiennes collaborèrent avec les Allemands à la déportation des Juifs. Si celle-ci ne fut jamais une source de discorde entre Italiens et Allemands, en revanche, quelques divergences apparurent en fonction des rapports de force locaux, par exemple sur la nécessité ou pas de déporter les vieillards et les malades. [21]

Au total, ce sont 7 860 Juifs d’Italie qui ont été exterminés, sur une population totale, en 1943, de 35 200 (47 000 en 1938). C’est donc à peu près un quart de la communauté qui a péri, dont 60 % de Juifs nationaux.

Dans l’évolution des relations entre le régime fasciste et les Juifs, c’est l’année 1938, d’abord, qui marqua un tournant. Puis, en 1943, la République de Salò ne laissa plus de chances aux Juifs d’avoir la vie sauve.

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Aller plus loin :
MATARD-BONUCCI, Marie-Anne, L’Italie fasciste et la persécution des Juifs, Paris, Perrin, 2007.

 

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2 Cet essai a été écrit à l'occasion d'un colloque à la Brandeis University, qui s'est tenu en 1984 en l'honneur de Vito Volterra, le grand mathématicien disparu en 1940. Volterra avait été professeur dans trois universités italiennes — Turin, Pise et Rome — où j'ai enseigné moi-même. En 1905, il fut nommé par le roi au sénat italien et prit ensuite énergiquement position contre le fascisme. Deux éminents mathématiciens de ma famille, Eugenio Elia et Beppo Levi, s'inspirèrent de ses recherches pour leur propre travail. Mon amitié avec ses fils, en particulier avec Edoardo, le professeur de Droit romain, remonte à 1929, alors que je venais de quitter Turin pour Rome.
A. M.

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