Ces accords conclus le 16 mai 1916, en pleine guerre, par la France et la Grande-Bretagne, avec l'assentiment de la Russie impériale, visent à se partager les restes à venir de l'Empire Ottoman au Proche-Orient. Il s'agit donc d'un partage de territoires que les puissances ne détiennent pas encore.
Le 6 février 1916, Aristide Briand alors président du Conseil
faisait part de sa peur à Cambon, ambassadeur à Londres, de voir les Anglais se réserver seul le sud de la Palestine
" Les dernières nouvelles d'Égypte donnent l'impression que les milieux militaires anglais, enhardis par la lenteur de l'offensive éventuelle ottomane et par la force croissante de leurs propres effectifs, songeraient à ne plus se contenter de défendre le canal de Suez et à venir eux-mêmes attaquer les Turcs en avant du Canal. Si cette hypothèse se réalisait, nous risquerions de voir, à un moment donné, des troupes anglaises agir seules dans le sud de la Palestine et de la Syrie."1
Deux diplomates, Mark Sikes2 et François George-Picot3 entament une négociation dont l'objet est d'abord de définir la frontière entre la Syrie (la grande Syrie telle que l'imaginent les Français) et l'Arabie telle que les Anglais l'ont définie dans leurs échanges avec Hussein. La carte qu'ils ont laissé avec ses grands coups de crayon bleu et rouge reste à ce jour un symbole de la cupidité des puissances. A l'époque la Grande-Bretagne et la France décidaient dans l'obscurité de leurs cabinet du sort des peuples.
Lord Sykes, jeune parlementaire de 37 ans fasciné par le Proche-Orient est alors considéré comme un puit de science sur la région, ce qui lui vaut l'écoute du 10 Downing street. Il explique son projet au cabinet de Herbert Henry Asquith , devant Lord Kitchener, alors ministre de la guerre et Lord Balfour alors à l'Amirauté :
" J'aimerais tracer une ligne depuis le "e" de Acre jusqu'au "k" de de Kirkouk " 4
A titre personnel, Mark Sikes est plutôt hostile aux Juifs, ayant déclaré notamment à un dirigeant arabe :
" Croyez-moi, car je suis sincère lorsque je vous dis que cette race [les Juifs], vile et faible, est hégémonique dans le monde entier et qu’on ne peut la vaincre. Des Juifs siègent dans chaque gouvernement, dans chaque banque, dans chaque entreprise.
L'esprit du protocole des sages de Sion, ce faux rédigé en 1901 par un informateur de la police du Tsar qui sera appelé à un certain succès jusqu'à nos jours n'est pas loin...A moins qu'il écrive ce que son interlocuteur souhaite lire.
La région est donc découpée en 5 zones :
- une zone française 'bleue' (Liban et Cilicie-Syrie maritime) , une zone arabe 'bleue clair' d'influence française (Syrie intérieure et Wilayet de Mossoul)
- une zone anglaise 'rouge' (Koweit et Mesopotamie) , une zone arabe d'influence anglaise 'rose' (Syrie du sud, Jordanie, Néguev notamment)
- Une zone internationale 'brune' : Saint-jean d'Acre, Haïfa et Jérusalem, sous couvert de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie, protectrice des orthodoxes.
Cet accord est plutôt un accord diplomatique entre deux diplomates qu’un traité pour régler des rivalités entre Paris et Londres sur la domination du Moyen-Orient et du Levant. Les frontières suggérées ne sont pas réalistes, et la délimitation des sphères d’influence ne concorde pas avec les intérêts stratégiques et économiques des signataires.
L'accord secret est en fait révélé par les Bolcheviks lorsqu'ils prennent le pouvoir en 1917 et transmis aux Turcs qui en font part à Hussein.
En octobre 1918, juste après la signature de l’armistice, l’Accord Sykes-Picot est modifié en secret par Lloyd Georges et Clemenceau. La France cède à la Grande-Bretagne la région de Mossoul (raffineries de pétrole), et la Palestine (de Metula à Beer-Sheva) en échange d’un contrôle direct sur l’ensemble de la Syrie et d’un accès à une part de la Turkish Petroleum.5
Sykes et Georges-Picot n'ont pas le pouvoir de conclure et l'accord est signé par les diplomates, Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres et Edward Grey, secrétaire au foreign office.
Cependant, l'accord n'est plus apprécié par les Anglais lorsque ces derniers (Allenby) s'emparent de la Palestine fin 1917. La dénomination Sykes-Picot qu'ils mettent alors en avant, plutôt qu'un accord Cambo-Grey, est une manière de réduire la puissance de l'accord en niant la signature des ambassadeurs.
" A compter de là, ils vont tout faire remettre en cause cet accord, en utilisant des cartes très différentes.
D'un coté ils vont pousser l'émir Fayçal à aller jusqu'à Damas, c'est à dire dans la zone Française, et d'autre part, ils vont faire la déclaration Balfour, pour remettre en cause le statut de la Palestine.…" 6
Le 21 septembre 1918, les français commencent à douter de la volonté des Anglais de mettre en œuvre l'accord Sykes- Picot et l'écrivent7 :
" Je vous serai donc obligé de demander au gouvernement britannique de bien ouvloir approuver d'urgence l'accord préparé par M.G. Picot et Sir Mark Sikes..vous rappellerez à M. Balfour que dès 1912, le gouvernement britannique avait reconnu nos droits en Syrie et avait déclaré ne chercher aucune influence politique dans ce pays..
Les Français rechignent, car ils ont parfaitement compris que les Britanniques tentent de les duper une fois encore. Georges-Picot est maintenant représentant de la France en Syrie et en Palestine. Du côté britannique, après la prise de Jérusalem en décembre 1917, le commandant en chef Allenby proclame la loi martiale, ce qui gène tous les partages sur le terrain. A la fin de la guerre, au moment de l’armistice de Moudros, en octobre 1918, ce n’est pas la carte Sykes-Picot qui est utilisée, mais une division de la région en zones d’occupation militaire qui est assez différente de la carte Sykes-Picot.
A l’automne 1919, à la conférence de Deauville, les Britanniques n’ont plus les moyens de tenir la région, leurs troupes sont fatiguées, leurs finances sont en difficulté. Ils décident d’évacuer la Syrie qu’ils occupaient et de rapatrier leurs troupes sur la Palestine, ce qui permet une relève par les troupes françaises. Les Français ont une puissante armée coloniale et ils ont la conscription, ce que les Britanniques n’ont pas.
A partir de ce moment-là, le système des mandats doit s’installer. Il reste à fignoler la question politique de la division des mandats et leur répartition territoriale, ce qui est achevé à la conférence de San Remo en avril 1920. La carte définitive est donc celle de San Remo." 8
Voir le texte des accords
1 L'empire ottoman les Arabes et les grandes puissances, 1914- 1920, éditions universitaires du Liban, 1981, p.25
2 Ceci n'a rien à voir mais le cercueil de Mark Sykes a été ouvert en 2008, 90 ans après sa mort pour y trouver le virus souche de la grippe espagnole dont Sykes est mort en 1919. Sykes a été enterré dans un cercueil de plomb qui garantit une bonne conservation de ce virus proche du H1N1, mais le cercueil s'était brisé et le virus envolé.
3 François Georges-Picot est le fils de l'historien Georges Picot. C'est aussi le grand-oncle de Valery Giscard d'Estaing.
4James Barr.la ligne de partage
5Freddy Eytan
6 Henry Laurens , propos recueillis par Anne-Lucie Chaigne-Oudin in les clé du Moyen-Orient publié le 16 07 2014.
7 Lettre de Stephen Pichon, ministre des affaires étrangères à Paul Cambon, ambassadeur à Londres in Empire ottoman, les Arabes et les grandes puissance, op. Cité p.84