La tuerie perpétrée par Mickael Harpon, agent de la préfecture de Paris, informaticien habilité secret défense à la cellule de surveillance de radicalisation islamiste pose évidemment la question de la radicalisation dans les services publics.

Un rapport d'information de la commission des lois constitutionnelles du Sénat déposé le 27 juin comportait un paragraphe entier consacré à la Gendarmerie et à la Police nationale, reproduits ici :

1. La Gendarmerie nationale

Les futurs gendarmes font l’objet, au moment de leur recrutement, d’une enquête administrative menée par le SNEAS, et par la gendarmerie elle-même. Elle inclut la consultation des principaux fichiers de sécurité, de renseignement et judiciaires. En cas d’avis d’incompatibilité, une note d’attention du SNEAS contenant les éléments de motivation est rédigée puis transmise au service demandeur. En 2018, le SNEAS a mené, sur le fondement de l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, 11 287 enquêtes concernant le recrutement de militaires de la Gendarmerie nationale. 11 280 d’entre elles ont donné lieu à un avis sans objection et 7 à un avis défavorable.

 

La gendarmerie a accentué son suivi de la radicalisation en interne à partir de 2013, après avoir vu un ancien gendarme adjoint volontaire partir pour la Syrie (1). Ce suivi est effectué par le bureau de la lutte antiterroriste (BLAT), dépendant lui-même de la direction des opérations et de l’emploi (DOE) (2) (le suivi ne relève plus de la DRSD depuis que la gendarmerie a quitté la tutelle fonctionnelle du ministère des Armées). Le suivi est réalisé en lien avec les services de renseignement, et notamment la DGSI. La détection est facilitée par la vie en caserne. Le nombre de personnes faisant l’objet d’un suivi est, d’après la direction générale de la gendarmerie nationale, extrêmement faible (à mettre en relation avec l’effectif total d’environ 130 000 gendarmes, dont 100 000 gendarmes d’active et 30 000 réservistes).

 

Pour se séparer d’une personne radicalisée, la gendarmerie dispose d’un arsenal juridique qui lui paraît aujourd’hui suffisant, allant du non-renouvellement de contrat à la radiation des cadres (après consultation d’un conseil d’enquête), en passant par les différentes sanctions disciplinaires existantes. La gendarmerie dispose par ailleurs, comme les autres forces armées, de la procédure, non disciplinaire, de sortie du service (radiation des cadres ou résiliation de contrat) prévue par l’article L. 4139-15-1 du code de la défense, lorsque « le comportement [du] militaire est devenu incompatible avec l’exercice de ses fonctions eu égard à la menace grave qu’il fait peser sur la sécurité publique ». Comme cela a été dit plus haut, cette procédure, qui prévoit l’avis préalable d’un conseil, n’a jamais été utilisée à ce jour, dans l’attente d’une instruction interministérielle en préparation.

(1) L’intéressé avait passé quelques mois dans la gendarmerie.

(2) La DOE relève elle-même de la direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN), direction générale du ministère de l’Intérieur.

 

2. La Police nationale

Le principal mécanisme protecteur vis-à-vis de la radicalisation dans la police nationale consiste en l’agrément nécessaire pour y être recruté. Cet agrément est délivré par l’autorité préfectorale territorialement compétente, après réalisation d’une enquête administrative visant à recueillir des éléments se rapportant à des faits réels et vérifiés. L’enquête comporte, d’une part, la consultation et l’analyse par le SNEAS d’un certain nombre de fichiers (TAJ (1), FPR (2), FSPRT (3), PASP (4), GIPASP (5), CRISTINA (6), GESTEREXT (7)). Elle inclut, d’autre part, un rapport établi par les services de renseignement territorial à l’issue d’une enquête environnementale et d’un entretien avec le candidat. Un refus d’agrément par le préfet doit être motivé. De simples doutes ne suffisent pas à justifier un refus. Celui-ci est notifié au candidat, sans que les motifs en soient précisés. Toutefois, ces motifs doivent être communiqués au juge administratif si un recours contentieux est introduit.

Mme Brigitte Jullien, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), a confirmé que le recrutement donnait lieu systématiquement à un criblage et à des investigations (8) concernant notamment l’entourage de la personne et son usage des réseaux sociaux. En 2018, le SNEAS a mené, sur le fondement de l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, 10 840 enquêtes concernant le recrutement des fonctionnaires et agents de la Police nationale.

10 834 d’entre elles ont donné lieu à un avis sans objection et 5 à un avis défavorable. Par ailleurs, si un candidat apparaît comme potentiellement radicalisé, l’information en sera donnée à l’autorité préfectorale, chargée de superviser le suivi des signalements en la matière.

Il reste que, en raison d’une dissimulation toujours possible, il n’existe pas de garantie absolue qu’une personne radicalisée ne puisse pas être recrutée. En outre, une radicalisation peut intervenir postérieurement à l’entrée dans la police, en particulier à la suite d’une conversion. Pour faire face aux dangers de cette radicalisation post-recrutement, une cellule spéciale de l’IGPN, en charge de la surveillance des policiers soupçonnés de radicalisation, a été créée en 2016. Une réunion trimestrielle rassemblant la DGSI, le Renseignement territorial, la direction de la formation de la Police nationale et l’IGPN permet d’évoquer les personnes sources de préoccupation. Ce sont généralement les services de renseignement qui alertent sur l’existence de signes de radicalisation (fréquentation d’une mosquée de tendance salafiste, par exemple).

 

(1) Traitement des antécédents judiciaires (géré par la DGPN et la DGGN).

(2) Fichier des personnes recherchées (géré par la direction centrale de la police judiciaire).

(3) Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (géré par l’UCLAT).

(4) Prévention des atteintes à la sécurité publique (géré par la DGPN).

(5) Gestion de l’information et la prévention des atteintes à la sécurité publique (géré par la DGGN).

(6) Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux (géré par

la DGSI).

(7) Gestion du terrorisme et des extrémismes violents (géré par la Préfecture de police de Paris).

(8) L’agrément du préfet a ainsi, par exemple, été refusé à un militant néo-nazi.

 

Selon M. Éric Morvan, directeur général de la Police nationale, sur un effectif de 150 000 fonctionnaires de la Police nationale, 28 seulement feraient actuellement l’objet d’un suivi pour radicalisation. D’après M. Morvan, le chiffre d’une trentaine de cas serait stable. Ces cas de radicalisation concerneraient essentiellement des policiers de la sécurité publique, celle-ci comptant les effectifs les plus nombreux. Ils se répartiraient en quatre catégories :

 

– agents réputés en lien ou en contact avec des milieux islamistes radicalisés ;

– agents ayant des pratiques religieuses ostentatoires ;

– agents ayant des prises de positions publiques ou manifestant un intérêt

soutenu pour l’islamisme radical ;

– agents dont le comportement se serait radicalisé.

 

S’agissant de la Préfecture de Police de Paris, M. Michel Delpuech (1) a indiqué que ses services de renseignement avaient recensé une quinzaine de signalements (sur plus de 43 000 agents) : une dizaine pour des suspicions de comportements radicalisés et quatre ou cinq cas de fonctionnaires en contact avec des milieux radicalisés.

 

Pour traiter les cas de radicalisation en cours de carrière, la Police nationale dispose d’une panoplie d’outils, dont :

– le report, puis le refus, de titularisation ;

– le non-renouvellement du contrat d’adjoint de sécurité ;

– l’adaptation du poste de travail (non armé, sans possibilité de consulter les fichiers de police) ;

– les sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, exclusion temporaire, révocation, etc.) ;

– le retrait de l’habilitation au secret Défense ;

– la procédure spécifique de radiation prévue à l’article L. 114-1 du code de la

sécurité intérieure (2).

 

D’après les informations fournies par le ministère de l’Intérieur, six révocations (prononcées dans le cadre disciplinaire (3)) auraient été prononcées en lien avec des faits de radicalisation. Ce n’est pas la radicalisation en tant que telle qui motive la révocation (tout comme les autres sanctions disciplinaires), mais ce sont les manquements au devoir de neutralité (prosélytisme), à l’obligation de loyauté, au devoir d’exemplarité, au devoir de réserve (en dehors du service) (1), etc., ainsi que les atteintes au bon fonctionnement du service dont ils peuvent être la cause. Un arrêté de révocation du ministre de l’Intérieur."

 

(1) Préfet de Police de Paris jusqu’en mars 2019.

(2) Non encore utilisée dans l’attente de l’instruction interministérielle précitée.

(3) Qui implique donc la réunion du conseil de discipline, instance paritaire.

 

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