Albert Cohen écrivain français prix nobel de littérature et ses personnages Mangclou, Solal, les Valeureux... , le chanteur Georges Moustaki, mais aussi la famille Olivetti (machines à écrire), Alessandro et Americo Aboaf (industrie du cinéma), Victor et Rafaële Israël (négociants et philantropes, Iquitos, Pérou) etc.
Histoire de la communauté juive de Corfou, J. A. Romanos, 18911, revue des études juives
« La population juive de Corfou compte en 1890 environ 5000 personnes. Le quartier juif, au sud est de la ville, s’étend sur un cinquième de la ville.
Au XIIIe siècle, lorsque les rois de Naples de la maison d'Anjou s'emparèrent de l'île, il y avait beaucoup de Juifs à Corfou, et il est probable qu'ils y arrivèrent de l'Orient, car ces premiers colons juifs de Corfou parlaient exclusivement le grec, et la plus ancienne synagogue de Corfou, dont font partie les plus anciennes familles juives de la ville, s'appelle synagogue grecque.
L'état des Juifs de Corfou sous la domination de la maison d'Anjou (c'est-à-dire du XIVe au XVe siècle) était assez triste, pas aussi triste cependant que dans le reste de l'Europe. Divers souverains de Corfou leur accordèrent des chartes ou privilèges pour modérer les persécutions dont ils étaient l'objet, maints décrets de ce genre furent publiés par les princes de Tarente.
Philippe de Tarente, souverain de Corfou avec sa femme Catherine, impératrice titulaire de Constantinople, les protégea par un décret du 23 novembre 1311 et un autre du 12 mars 1324. Le décrêt fut ensuite confirmé par ses successeurs.
Ces privilèges étaient autrefois conservés dans les archives de la synagogue, mais du prince Philippe Ier il ne nous est parvenu, à notre connaissance, qu'un résumé du décret de l'année 1324, conservé par le célèbre Mustoxidi, qui, dans le Έλληνομνήμων, en dit ce qui suit :
« Parmi d'autres documents conservés dans la synagogue des Juifs à Corfou, il se trouve une lettre de Philippe, prince de Tarente. Dans cette pièce, adressée aux autorités de Corfou, Philippe se plaint, comme d'une injure et d'une tache imprimée à son gouvernement, que les décrets rendus par lui en faveur des Juifs de la ville et de l'île de Corfou ne soient pas exécutés. Les fonctionnaires enlevaient les lits, les vêtements, les meubles et les bêtes des Juifs ; ils s'emparaient de leurs personnes et les obligeaient de servir gratuitement comme marins sur les vaisseaux de guerre ; ils les obligeaient de comparaître devant les tribunaux le samedi ou de travailler le samedi et les autres jours de leurs fêtes ; ils dressaient les gibets sur les tombeaux juifs, forçaient les Juifs d'exécuter les condamnations à mort et les autres peines infligées aux malfaiteurs. C'est pour cela que Philippe ordonnait impérieusement et péremptoirement que les Juifs ne fussent plus désormais astreints à aucune fourniture ni à aucune corvée, excepté celles qui sont permises par le bon sens et la coutume et qui étaient demandées également aux autres citoyens, et qu'on les laissât fêter selon leurs lois leurs sabbats et leurs fêtes, sans les déranger. »
D'après le seul document de cette époque du 6 mars 1365 les Juifs étaient, dès l'origine, affranchis de tous les impôts, cotisations, et de toutes autres charges, sauf l'impôt pour l'éclairage de la ville de Corfou. La souveraine Marie de Bourbon ordonna au gouverneur de Corfou d'observer strictement leurs anciens privilèges.
Période vénitienne
Mais vers la fin du XIVe siècle, la domination des Anjou à Corfou devait disparaître : en 1386, l'île, ayant besoin d'un fort protecteur, se rendit volontairement aux Vénitiens. Des six délégués envoyés à Venise pour négocier cette reddition, l'un était Juif, David Semo, de l'importante famille Semo qui existe encore aujourd'hui à Corfou. La mission de ce Juif a été omise avec intention par Andréas Marmora, patricien de Corfou du XVIIe siècle, dans son histoire de l'île de Gorfou, et même Antoine Rhodostamo, poète et littérateur corfiote mort au commencement de ce siècle, en conteste l'authenticité, mais elle est prouvée par des documents vénitiens officiels.
C'est peut-être à l'instigation de David Semo que le Sénat de Venise publiait, dès le 22 janvier 1387, un décret par lequel il reconnaît que, pour beaucoup de motifs, le séjour des Juifs dans la ville et dans l'île est utile, juge bon d'accorder les demandes faites par les deux Juifs de Gorfou délégués à cet effet par leurs coreligionnaires, ordonne que les Juifs de Corfou puissent vivre tranquillement et sans être troublés, à l'ombre de la domination ducale, confirme tous leurs anciens privilèges et franchises, décide qu'ils ne seront pas forcés de comparaître, sauf en des cas exceptionnellement urgents, devant les tribunaux, les jours de leurs fêtes ; qu'ils ne seront pas obligés de payer de plus fortes contributions que les autres citoyens ; qu'on ne pourra pas leur imposer d'emprunts forcés, et que leurs charges seront exactement les mêmes que celles des autres habitants de la ville et de l'île.
Au commencement du XVIe siècle, lorsque le conseil de la ville de Corfou voulut obtenir de Venise quelques privilèges et immunités qui n'intéressaient pas spécialement les Juifs, il choisit, pour rédiger les articles du privilège qu'il allait demander, cinq chrétiens et un Juif de Corfou, nommé Johama Maycha, probablement originaire d'Espagne, comme Semo, et le 5 octobre 1515, il décida que tous ces délégués iraient à Venise pour faire passer les demandes de la ville
En général, la République de Venise traitait les Juifs avec bienveillance. Après la brillante victoire de Lépante remportée en 1571 par les chrétiens sur les Turcs, la République de Venise trouva que le meilleur moyen de témoigner sa reconnaissance au Christ était de chasser les Juifs de tous ses Etats, mais les Juifs de Corfou ne furent pas compris dans cette mesure injuste et inhumaine. Ils étaient fort utiles à la ville. Energiques et laborieux de nature , la plupart d'entre eux s'adonnaient au travail manuel et exerçaient les métiers grossiers que méprisaient les autres habitants. Les Juifs riches faisaient le commerce avec succès, ils acquéraient ainsi une grande influence et des richesses qu'ils employaient souvent pour le bien de la ville.
Au commencement de la seconde moitié du xve siècle, cependant, on remarque certains actes d'intolérance de la part de Venise. Un Grec de Constantinople, Andréas Spátas, vieux médecin de la commune de Corfou, avait été remplacé dans son emploi par un jeune médecin juif dont nous ne connaissons pas le nom, mais le Sénat de Venise, considérant que indecens et impium est prœponere Iudeum christano (Il est indécent et impie de préférer un juif à un chrétien.) et juvenem imperitum medico seni pratico et perito (Un jeune homme inexpérimenté face à un médecin âgé, expérimenté et pratique. )par décret du Π juillet 1466, cassa la décision de la commune.
Les services que les Juifs rendaient dans l'île de Corfou sont constatés dans un grand nombre de documents provenant des Provéditeurs vénitiens. Chaque fois qu'un de ces fonctionnaires déposait le pouvoir et allait quitter l'île, les Juifs se hâtaient de lui demander, pour son successeur, des témoignages écrits de leur dévouement à la République de Venise. D'après ces certificats, les Juifs de Corfou furent des sujets très fidèles et très dévoués, qui contribuèrent en toutes façons aux intérêts communs de la patrie en temps de disette et de danger, soit par des tailles ou des prêts considérables, soit par le sacrifice de leur vie.
En 1431, la Seigneurie de Venise, ayant un besoin urgent d'argent, s'adressa aux Juifs de Corfou par l'intermédiaire du Provéditeur, pour leur demander un emprunt de 3,000 ducats, parce qu'il était juste, disait-elle, que les Juifs eussent part aux charges comme ils avaient eu part au bonheur public.
En 1586, le baile de Corfou, Hieronymus Capello, certifie que les syndics de la communauté juive ont montré le plus grand empressement à contribuer à la construction des deux citernes qui se trouvaient au milieu de la ville. Ils firent de môme pour la reconstruction des nouveaux murs et la réparation des vieux murs, et ainsi dans d'autres cas.
Pendant la longue guerre de Crète, si désastreuse pour les chrétiens, et pendant la guerre du Péloponèse, ils fournirent libéralement tout ce qu'il fallait pour les blessés transportés à Corfou.
Enfin, lors du fameux siège de Corfou en 1716, ils combattirent si bravement et si courageusement pour la défense commune, sans ménager ni leurs vies, ni leur fortune, que le célèbre général vénitien comte Schulembourg, qui sauva Corfou de l'horrible danger de l'esclavage, publia deux décrets honorifiques où il exalte leur bravoure , et en particulier celle de Mardochée Mordo Mavrogène, qui se distingua parmi ses coreligionnaires. Ces hauts faits accomplis par les Juifs pour la défense de l'île contre les Turcs sont aussi confirmés par l'aide-de-camp de Schulembourg, le colonel Demetrios Strategos, de Corfou, qui, dans sa relation du siège adressée à Pierre Garzón, sénateur et historiographe de la ville de la République de Venise, déclare que, parmi les habitants de Corfou, c'étaient les Juifs qui avaient rendu les plus grands services.
Le nombre des Juifs de Corfou était assez grand déjà sous les princes de la maison d'Anjou, mais il s'était accru encore à la suite de deux persécutions que leurs coreligionnaires subirent dans d'autres pays. Lorsque les Juifs furent chassés d'Espagne et expulsés sans pitié, beaucoup d'entre eux s'établirent à Corfou ; ils y ont prospéré et ont même conservé jusque dans ces derniers temps l'usage de la langue espagnole.
Environ un demi-siècle plus tard, une colonie juive bien plus nombreuse vint d'Apulie et exerça une si grande influence sur les Juifs déjà établis à Corfou, qu'elle leur imposa la langue d'Apulie, qu'ils parlent encore aujourd'hui avec un mélange de mots grecs, ce qui a produit un jargon difficile à comprendre et par les Italiens et par les Grecs. C'était l'époque où régnait à Naples le vice-roi don Pedro de Tolède. Ce prince, ayant entendu beaucoup de plaintes contre les usures des Juifs et en ayant informé l'empereur, reçut l'ordre d'expulser immédiatement les Juifs du royaume. Beaucoup de ces malheureux se réfugièrent à Gorfou en 1540, et y fondèrent, en commun avec les anciens réfugiés espagnols, une synagogue, qu'on appelle encore aujourd'hui synagogue d'Àpulie et d'Espagne, pour la distinguer de l'ancienne synagogue grecque. C'est de cette époque que date la division des Juifs à Corfou en italiens et en grecs.
L'organisation de la communauté juive était à peu près semblable à celle des chrétiens. Chacune des deux synagogues avait deux syndics (Memunnim ), deux surveillants et deux gérants (Parnasim) ; elle constituait un corps à part, qui avait son conseil présidé par les syndics. Lorsqu'on avait à délibérer sur des intérêts communs, les deux conseils se réunissaient et délibéraient ensemble. Les syndics étaient élus par les confrères des synagogues, convoqués à cet effet, chaque année, par le Provéditeur vénitien en son palais. Ils veillaient à l'ordre public, réglaient les différends des particuliers, et remplissaient les fonc¬ tions d'édiles. Ils devaient aussi assister à toutes les cérémonies publiques, vêtus du même vêtement que les syndics chrétiens, mais sans armes et avec une perruque courte, tandis que les syndics chrétiens portaient l'épée et la grande perruque.
S'il est exact que les Juifs vivaient en sécurité à Corfou et y avaient une situation meilleure que leurs coreligionnaires du reste de l'Europe, ils ne pouvaient cependant pas échapper aux persécutions dues à l'intolérance religieuse de cette époque, qui provoquait de temps en temps contre eux des décrets injustes et humiliants.
En 1406, les Corfiotes envoyèrent à Venise Perotto Altabilla, Zelo de Paxe et quelques autres patriciens, pour solliciter différentes faveurs, parmi lesquelles il s'en trouve une aussi dure que stupide, de Judeis lapidandis. Le gouvernement de Venise refusa naturellement de laisser lapider les Juifs, mais voulant donner une satisfaction à ses sujets bien-aimés, il ordonna que les Juifs porteraient désormais sur le devant de leur vêtement un O de la grandeur d'un pain.
A la même époque, et sur la demande obstinée des mêmes délégués, on défendit sévèrement aux Juifs de posséder et d'acquérir des immeubles, maisons et champs, auxquels étaient attachés des serfs (vilani ), tant dans la ville de Corfou qu'en dehors de la ville, c'est-à-dire dans toute l'étendue de l'île, à l'exception des immeubles qu'ils avaient jusque-là possédés dans le quartier juif, et on leur accorda un délai de deux ans pour vendre leurs champs, leurs têtes et leurs vignes.
Un peu plus tard, le Sénat força même toutes les femmes juives de porter sur la tête un voile jaune. Les Juifs envoyèrent à Venise une députation composée de leurs syndics Aurachius de Chaffàro, David Samuel, et Salomon Dolceto, mais leurs principales réclamations ne furent pas écoutées.
Ils obtinrent cependant satisfaction sur quelques points moins importants.
En vertu des capitulations qu'ils avaient conclues, les Juifs devaient payer la huitième partie de toutes les dépenses de la ville, mais les deux dernières années on leur avait demandé davantage, ce qui provenait de ce qu'on n'avait pas, comme c'était stipulé, admis un Juif parmi les taxateurs chrétiens. Le Doge de Venise, Michel Steno, par une ordonnance du 26 juillet 1406, décidait qu'à l'avenir les stipulations et conventions sur les taxateurs seraient rigoureusement observées.
Il ordonnait, en outre, qu'on permît aux Juifs d'acheter du pain, des légumes, des fruits et d'autres aliments sur le marché de Corfou, comme ils en avaient l'habitude depuis longtemps ; qu'il leur fût loisible de puiser de l'eau au puits creusé sous le baïle Jean Capello et à la construction duquel ils avaient contri¬ bué de leurs deniers.
Il édictait enfin une punition sévère contre quiconque leur ferait violence, ou les insulterait, ou leur nuirait , attendu qu'il arrivait souvent qu'ils fussent menacés de mort ou de spoliation par les chrétiens. Nous ne savons si ce décret fut observé, car les Juifs continuent à se plaindre sans interruption.
Quant à l'ordonnance de 1406 concernant la possession d'immeubles, le Conseil de Venise s'aperçut bientôt que les Juifs de Corfou ne possédaient pas autant de propriétés qu'on lui avait fait croire, et par décret rendu le 19 juin 1408, à la demande de maître Angelus, médecin juif, député des Juifs de Corfou, la Seigneurie de Venise permit aux Juifs de Corfou de posséder des immeubles jusqu'à la valeur de 4,000 ducats en or, mais avec défense de jamais posséder des paysans attachés à la glèbe (vilani ).
Lorsqu'au commencement du XVe siècle, la cité de Corfou était encore confinée dans l'ancienne forteresse et que la ville actuelle était considérée comme un faubourg, les Juifs demeuraient séparés des chrétiens, dans une seule juiverie, et un peu plus tard, dans deux juiveries, intra civitatem et burgum, civitatis.
Le quartier juif était limité à la colline des Juifs, vulgairement dite des 'Βρίβοβοϋνι; elle commençait aux murs qui donnaient sur la mer et comprenait cette partie de la ville où se trouvent maintenant les églises de Notre-Dame Antivouniotissa, de Nôtre-Dame Kremasti, de l'Archange, du Tout-Puissant et de Saint-Nicolas.
Le 10 mars 1414, la Seigneurie de Venise décida de fortifier le faubourg de Corfou, c'est-à-dire la ville actuelle, et de comprendre dans le nouveau mur la colline des Juifs. Cet arrêt n'ayant pas été exécuté, il fut renouvelé le 20 octobre 1416 4 . Nous ne savons si c'est par suite de la construction de ce mur ou de l'intolérance qui régnait en ces temps que les Juifs des deux Juiveries se virent menacés, vers cette époque, dans la tranquille possession de leurs maisons. Ils furent obligés de réclamer auprès de la Seigneurie de Venise, en se fondant d'abord sur la Bulle d'or accordée aux Corfiotes lors de la soumission de l'île aux Vénitiens, puis sur leur qualité de cives et hàbitatores iiorphoy , et enfin sur le décret du 26 septembre 1423, qui leur avait confirmé le droit de propriété de leurs maisons.
Par décret du 3 mai 1425, la Seigneurie de Venise ordonna que les Juifs resteraient en possession des maisons et propriétés qu'ils avaient dans les deux Jui¬ veries 5. Ils finirent cependant par être obligés de céder leurs maisons, sur l'emplacement desquelles passait le tracé des nouvelles a fortifications de la ville, et au lieu de vivre dans des ghettos, ils se dispersèrent dans la ville et demeurèrent au milieu des chrétiens et même près des églises. Cette cohabitation offensait le sentiment religieux des Corfiotes, et une députation fut envoyée à Venise, en 1524, pour demander que les Juifs fussent de nouveau renfermés dans un ghetto. La demande fut accueillie, et un nouveau quartier fut désigné aux Juifs pour leur demeure. Il faut croire que cette mesure ne fut pas bien exécutée , puisque des réclamations constantes furent adressées, sur ce sujet, par la ville à la République de Venise ou aux Provéditeurs (années 1532, 1546, 1562, 1592').
En 1546, une partie des Juifs habitaient un quartier appelé Σπηλαία, qui leur avait été assigné par les syndics de la ville, mais les autres refusaient de s'y enfermer ; en 1562, le Provéditeur leur ordonna de demeurer dans un quartier, également désigné par les syndics, qui partait de l'église Notre-Dame οδηγία et était fermé de hautes murailles. Ils continuèrent néanmoins à demeurer dispersés, les uns dans la forteresse, les autres dans la ville, où ils voulaient.
Ce fut seulement en 1622 qu'une ordonnance, cette fois efficace à ce qu'il paraît, renferma les Juifs dans le quartier qu'ils occupent actuellement, et il leur fut même défendu d'en sortir pour se rendre dans la campagne sans une permission écrite du baile et du gouverneur.
En même temps, on leur interdit de célébrer en public aucune cérémonie religieuse et de louer tout autre immeuble que leur maison d'habitation. Ainsi finit, après une lutte de cent ans, et par l'internement des Juifs dans le ghetto, cette grande question qui paraît avoir si vivement intéressé la population de Corfou.
Comme si ces persécutions ne suffisaient pas, on en inventait toujours de nouvelles et on allait même parfois jusqu'à profaner, la nuit, les tombes juives et y commettre d'odieux outrages. Lorsque *la République de Venise eut fait connaître, en 1614, son intention formelle de punir les malfaiteurs coupables de ce crime, leur audace fut un peu réfrénée, on laissa les morts en paix, mais pour molester jour et nuit les vivants : les Juifs étaient s insultés, leurs enfants forcés d'accomplir des travaux grossiers, on tenait des propos honteux aux femmes juives dans la rue, les Juifs qu'on rencontrait dans les campagnes étaient frappés et menacés de mort .
Le nombre des Juifs de Corfou n'est connu, autant que nous sachions, que depuis le milieu du XVIe siècle. Dans un rapport adressé par le baile Antoine Foscari à la Seigneurie de Venise, en 1558, il est dit : « Les Juifs de Corfou sont environ au nombre de 400, demeurant pêle-mêle avec les chrétiens et quelquefois sous le même toit. »
En 1663, d'après Marmora, il y avait à Corfou 500 riches maisons juives. Enfin, le rapport fait en 1760 par le Provéditeur général Grimani nous apprend que le nombre des Juifs s'élevait alors à 1171, et qu'ils constituaient la huitième partie de la population totale
… Après l'arrivée des Français dans l'île, sous la première République, les Juifs jouirent de tous les droits, comme les autres citoyens et le rabbin occupait le même rang que les chefs des deux autres confessions. Le 2 octobre 1808, le commissaire de police de Corfou fut obligé d'avertir qu'il était absolument défendu de maltraiter les Juifs par actes ou en paroles.
Sous la domination anglaise, les Juifs perdirent de nouveau leurs droits politiques et il leur fut défendu d'exercer comme avocats devant les tribunaux.
Mais après l'union des sept îles avec la Grèce, il n'y eut plus dans la loi aucune différence entre les adhérents des divers cultes, et les Juifs sont depuis ce temps sous le régime du droit commun. Puissent-ils jouir à jamais de cette liberté précieuse pour le bien de la ville de Gorfou et partager, en complète sympathie avec nous, les aspirations et les devoirs de la Grèce entière »
Pogroms de 1891
Un incident particulièrement grave se produisit en 1891, lorsqu'une accusation de meurtre rituel fut lancée contre les Juifs locaux. L'histoire commença peu après Pessah, lorsqu'une jeune fille juive nommée Rubina Sardas, fille d'un tailleur, disparut et fut finalement retrouvée morte dans un sac. La nouvelle selon laquelle son père aurait été aperçu avec d'autres Juifs portant le sac ensanglanté au milieu de la nuit déclencha une tempête de colère.
Une rumeur se répandit parmi les chrétiens locaux selon laquelle la jeune fille était en réalité une orpheline chrétienne nommée Maria Desylla, qui travaillait pour la famille Sardas, et que les Juifs l'avaient assassinée dans le cadre de leurs rituels religieux. Bien que l'enquête judiciaire n'ait produit aucune preuve accablante contre les Juifs, tous les chrétiens ne furent pas apaisés et certains commencèrent à attaquer des maisons et des commerces juifs. La police locale ne fit guère d'efforts pour arrêter les émeutiers et contribua même à propager la rumeur selon laquelle la victime du meurtre était chrétienne.
Le 12 mai 1891, le quotidien hébreu HaTzfira, basé à Varsovie, rapportait que « Depuis le 14 avril jusqu'à aujourd'hui, les Juifs de Corfou sont enfermés chez eux comme en prison. Leurs fenêtres sont également closes et nul ne sort par peur. Ils sont contraints d'acheter leurs provisions de première nécessité tôt le matin auprès de marchands cruels qui exigent le triple du prix. La pauvreté a considérablement augmenté parmi ces âmes misérables. Depuis le 23 avril, toutes les maisons de prière sont fermées. Lorsqu'un Juif meurt, on ne peut le transporter dans une tombe que soixante heures plus tard, et vingt soldats se tiennent à côté du lit pour le garder. Le commerce a cessé. La haine du peuple envers les opprimés s'est considérablement accrue, et les soldats, nés dans la ville, aident les masses à inciter au mal contre les Juifs.»
22 Juifs ont été tués lors des pogroms.
Huit jours plus tard, HaTzfira rapportait qu'en réponse à ces événements, l'Autriche, la France et l'Angleterre avaient envoyé des navires de guerre dans la région pour protéger leurs citoyens. De plus, des représentants de la France, de l'Empire ottoman et d'autres pays avaient reçu l'ordre de protester contre l'incapacité du gouvernement grec à contenir les émeutes. La banque centrale allemande avait même averti la Grèce que la poursuite des troubles pourrait nuire à la valeur de sa monnaie.
Finalement, les autorités athéniennes envoyèrent des unités militaires à Corfou, repoussant les émeutiers par les armes. Le gouvernement grec souligna que
« Depuis lors, les Juifs partagent une constitution et une loi communes avec tous les habitants du pays. Le gouvernement est profondément attristé par ces incidents, mais il est convaincu que ses actions prouveront à toutes les nations que le bien de tous ses serviteurs sous son aile lui tient à cœur » (HaTzfira, 21 mai 1891).
Ces événements bouleversèrent le monde juif.
...À la suite des événements liés à la calomnie rituelle, que les Juifs de Corfou appelèrent « le décret funeste », environ la moitié des Juifs résidant sur l'île quittèrent l'île. La plupart d'entre eux étaient des personnes aisées, nombre d'entre eux ayant immigré en Italie ou en Égypte. Les Juifs restés à Corfou étaient pour la plupart pauvres.
Dans les années qui suivirent le « décret funeste », la vie des Juifs de Corfou fut généralement paisible. Ils adoraient la vie sur cette île pittoresque, et l'auteur Albert Cohen, originaire de Corfou, la décrivait avec nostalgie dans certaines de ses œuvres. Nata Osmo Gattegno (1923-2019), elle aussi originaire de Corfou et survivante de la Shoah, témoignait dans son ouvrage autobiographique en hébreu De Corfou à Birkenau et Jérusalem (Jérusalem : Aked, 1999), que le rabbin de la communauté et l'évêque grec local se témoignaient un respect mutuel, l'évêque étant invité d'honneur à la synagogue lors des fêtes juives. Cependant, la proximité des dates de Pessah et de Pâques a accru les tensions entre les deux camps. La semaine précédant Pâques, les chrétiens grecs fermaient leurs fenêtres, avant de les rouvrir et de jeter des récipients en céramique dans la rue en criant : « À la tête des Juifs ! À la tête des Juifs !»
Le 22 mars 1914, le quotidien de Jérusalem Moriah rapportait que des émeutiers grecs avaient saccagé le cimetière juif de Corfou.
Le 21 avril 1930, Haim Mizrachi publia un article dans le quotidien de Jérusalem Do’ar HaYom sur une nouvelle accusation de meurtre rituel contre les Juifs de Corfou. Mizrachi raconta comment, le lundi 7 avril 1930, une grande panique s'était emparée du quartier juif. Les marchands juifs, partis vendre leurs marchandises, regagnèrent soudainement leurs maisons, terrorisés. Des chrétiens locaux les avaient menacés de les assassiner pour venger l'enlèvement présumé d'un enfant chrétien, dont le sang aurait été utilisé pour un rituel de Pessah.
Les dirigeants de la communauté réagirent rapidement en appelant les autorités à intervenir. La situation devint encore plus tendue le lendemain, et certains Juifs furent battus par leurs voisins chrétiens. La police et l'évêque grec, que Mizrachi qualifiait d'« ami des Juifs », intervinrent, et des gardes et des enquêteurs furent envoyés pour la nuit afin de protéger le quartier juif. La police publia un tract spécial pour calmer la foule, expliquant qu'un individu anonyme avait tenté d'enlever l'enfant pour l'agresser sexuellement.
Malheureusement, tous les résidents grecs ne crurent pas à cette déclaration et certains poursuivirent leurs attaques. Mizrachi affirma que la communauté juive avait tenté de dissimuler l'incident afin qu'il ne soit pas largement diffusé et ne porte pas atteinte à la réputation internationale de la Grèce. Il nota que le public instruit et la presse de Corfou condamnèrent fermement ces accusations de meurtre rituel, qui ne faisaient pas honneur à la Grèce.
Dans les années 1930, malgré les manifestations de nationalisme et d'antisémitisme en Grèce, la vie juive à Corfou continua normalement. La communauté comptait un rabbin, des synagogues, une société funéraire (Hevra Kadisha), des associations caritatives, des bains rituels (mikvé) et même une école primaire proposant un programme moderne incluant l'étude du grec.
En avril 1933, Haim Mizrachi reçut l'autorisation d'utiliser l'aire de cuisson des matsa du bâtiment communautaire pour y installer une école du soir destinée aux jeunes de la communauté afin qu'ils puissent étudier le judaïsme et l'hébreu. Les dirigeants de la communauté exigeaient que Mizrachi, un militant sioniste, veille à ce que les enfants étudient l'histoire juive et grecque, soulignant que les Juifs vivant en Grèce devaient être à la fois des citoyens grecs respectueux des lois et de « bons Juifs ».
La communauté comptait également des organisations sociales, dont l'association « Phénix » des Juifs de Corfou, fondée en 1931.
Il y avait aussi, bien sûr, une activité sioniste. Plusieurs organisations sionistes étaient présentes sur l'île dès le début du XXe siècle. Haim Mizrachi lui-même œuvra à l'organisation d'activités sionistes révisionnistes. En 1913, alors qu'il était encore jeune, Mizrachi organisa un groupe de jeunes sionistes appelé Tikvat Zion (Espoir de Sion), qui fonctionna quelques années avant de se dissoudre. En 1924, il fonda un autre mouvement, Theodor Herzl, qu'il fusionna plus tard avec le mouvement révisionniste Betar. Il resta en contact régulier avec le mouvement Betar mondial et entretint des liens étroits avec ses collègues de Salonique et d'Israël. Il est décédé à Corfou en 1969.
La Shoah
Corfou comptait environ 2000 Juifs à la veille de la guerre.
La communauté de Corfou a été anéantie pendant la Shoah. En avril 1941, l’Italie fasciste a conquis Corfou, mais les Italiens n’ont fait aucune distinction entre Juifs et Gentils et n’ont pris aucune mesure particulière à l’encontre des premiers.
La situation s’est détériorée en octobre 1943, lorsque les Italiens ont quitté la ville et que la Wehrmacht nazie a pris le pouvoir. Des unités SS sous le commandement de Jürgen Stroop – qui avait auparavant servi en Pologne et réprimé sans pitié la révolte du ghetto de Varsovie – ont ordonné aux Juifs de s’inscrire dans un registre spécial et de se présenter devant un fonctionnaire de la ville trois fois par semaine.
Les Juifs étaient également accablés d'un lourd impôt pour subvenir aux besoins des Allemands.
En mai 1944, une délégation de la Gestapo arriva à Corfou, chargée de planifier la déportation des Juifs vers le camp de la mort de Birkenau. Le 9 juin 1944, tous les Juifs furent rassemblés sur la place de la ville et, sous la menace des armes, les soldats nazis, aidés par la police grecque, les rassemblèrent dans la forteresse locale.
Au même moment, des tracts furent publiés sur l'île, déclarant que « Corfou a été libérée du monstre juif » et exigeant que ceux qui cachaient des Juifs ou des biens juifs se rendent immédiatement sous peine d'être exécutés. Par conséquent, 100 autres Juifs cachés parmi leurs voisins chrétiens furent livrés aux nazis. Au même moment, des chrétiens grecs envahirent le quartier juif et le pillèrent.
Les Juifs furent déportés de Corfou par bateaux vers le camp de concentration de Haidari, près d'Athènes, puis rapidement envoyés par train vers le camp d'extermination de Birkenau. La plupart y furent assassinés.
Sur les quelque 1 700 Juifs vivant à Corfou sous l'occupation nazie, seuls 200 survécurent.
Après guerre
Après la Shoah, le gouvernement grec ordonna en 1946 au gouverneur de Corfou de restituer sans délai tous les biens à la communauté juive et à ses habitants, y compris les bâtiments publics utilisés par la communauté et les propriétés privées telles que les maisons et les magasins (HaMashkif, 17 janvier 1946). Mais une grande partie des biens était en ruines.
À la veille de la Shoah, il y avait quatre synagogues. Après la guerre, il n'en restait qu'une, et à peine. Elle fut ensuite restaurée par les autorités locales en collaboration avec des organisations juives.eri
L'ancien cimetière fut également gravement endommagé. Après la guerre, les Grecs ont détruit la clôture du cimetière, profané les tombes et transformé le site en « un dépotoir et un champ abandonné ».
Les Juifs de Corfou ayant fait leur alyah ont érigé un monument au cimetière de la ville israélienne de Holon, dédié à la mémoire de leurs frères assassinés pendant la Shoah. Chaque année, le 8 du mois hébreu de Tamouz, ils organisent une cérémonie en mémoire de l'ancienne communauté juive de Corfou, exterminée.
Comments powered by CComment