Des terroristes juifs, très impliqués dans la vie des colonies établies en Cisjordanie, piègent des voitures de maires arabes Naplouse et de Ramallah, en Cisjordanie. Les deux bombes explosent à la  même heure, alors qu'ils sont au volant.

Bassam Shakaa et Ramallah Karem Khalaf sont blessés. Le premier doit être amputé des deux jambes, l'autre d'un pied.. Un expert en déminage israélien perd la vue suite à l'explosion d'une autre bombe qu'il tentait de la déminer dans le véhicule du maire de la ville de El-Birah, Ibrahim Tawil. L'armée pénètre alors dans l'hôpital de Naplouse pour disperser sans ménagement un groupe de Palestiniens venus manifester leur sympathie à M. Chakaa.

Ces deux attentats font suite à l'explosion d'une grenade sur la place principale d'Hébron, où sept Arabes ont été blessés.

D'autre part, un colis piégé, qui visait, le maire de la ville d'El Bireh, a été désamorcé. Un sapeur de la police israélienne a été grièvement blessé.M. Begin a déclaré " regretter ces attentats " et a affirmé avoir " donné des instructions pour que les coupables soient appréhendés et sévèrement châtiés ". M. Arafat et un dirigeant du F.P.L.P. ont rejeté la responsabilité des attentats sur M. Begin. La municipalité de Gaza a démissionné collectivement pour protester contre ces attentats.

 Le gouvernement israélien fait alors face à une nouvelle menace qu'il ignorait jusque-là, celle de l’extrémisme juif.

MM. Bassam Chakaa et Karim Khalaf sont considérés comme les personnalités les plus influentes du mouvement nationaliste palestinien en Cisjordanie, et plus précisément comme les principaux dirigeants du Comité d'orientation national, qui, depuis près d'un an, représente la première tentative d'organisation politique dans les territoires occupés en dehors du cadre municipal.

L'existence de ce comité est quasi clandestine, toute activité étant interdite sous le régime d'administration militaire. Ses membres avaient cependant, jusqu'au début de cette année, bénéficié parfois d'une certaine tolérance de la part des autorités israéliennes. Mais depuis le regain de tension en Cisjordanie en avril, et surtout depuis l'attentat commis à Hébron le 2 mai contre des colons israéliens (six d'entre eux ont été tués), le gouvernement, en prenant toute une série de mesures répressives, a accusé le comité d'avoir créé un climat d'agitation et d'avoir incité plus ou moins directement la population à la subversion. Dès lors, des membres du comité ont dû cesser de se réunir, et MM. Khalaf et Chakaa ont été contraints de s'abstenir de toute déclaration et de limiter strictement leur action à la gestion municipale. Ils ont été avertis que, à la moindre infraction à ces consignes, ils risquaient l'expulsion.

Le prestige de M. Chakaa est grand aux yeux de la population palestinienne depuis qu'il a failli être déporté, en novembre dernier, pour avoir fait des déclarations - qu'il a démenties - supposées favorables au terrorisme, et qu'il a été arrêté. Mais, la majorité des maires de Cisjordanie et du territoire de Gaza ayant démissionné en signe de protestation, il avait finalement été libéré et les poursuites avaient été abandonnées. Dès lors, les colons israéliens, dans leur grande majorité, n'ont cessé de réclamer des sanctions très sévères contre les maires.

À Ramallah, à deux reprises à la fin du mois d'avril, après les manifestations et les incidents visant des habitants des implantations israéliennes voisines, des militants du Goush Emounim (Bloc de la foi), puis le mouvement extrémiste du rabbin Meïr Kahane (la Ligue de défense juive) avaient organisé des représailles, se livrant dans le premier cas à de graves déprédations dans la ville. Ces provocations n'étaient pas les premières - des raids punitifs avaient déjà été lancés par des colons, les mois précédents, à Ramallah et à Hébron, - mais elles étaient les plus graves. Après ces événements, le rabbin Kahane, qui ne cache pas sa volonté de décider les Palestiniens à quitter la Cisjordanie, a été arrêté puis placé en détention administrative.

Au cours des dernières semaines, les autorités militaires - l'arrestation du rabbin Kahane en est la preuve - se sont vivement inquiétées des déclarations faites dans certains milieux activistes israéliens, tels que le Goush Emounim et la Ligue de défense juive. Après l'attentat d'Hébron, de véritables appels à la vengeance ont été lancés et l'armée a éprouvé les plus grandes difficultés pour empêcher certains groupes de colons de passer à l'action. Des actes de vandalisme ont été commis à Hébron, à plusieurs reprises, après l'attentat du 2 mai.

Tout récemment, cette inquiétude manifestée par le gouvernement militaire a été encore aggravée par la découverte, le 10 mai, d'une importante cache d'armes et de munitions dans le quartier juif de la vieille ville de Jérusalem. Ce dépôt clandestin, où avaient été entassés près de 120 kilos d'explosifs, de nombreuses grenades et des détonateurs, avait été constitué par deux soldats israéliens qui jusqu'alors avaient refusé de déclarer s'ils appartenaient ou non à une organisation.

Suite aux attentats, une grève générale est décrétée par l'OLP le 3 juin. Elle est largement suivie y compris sur Jérusalem-Est. L'armée ouvre de force des volets de magasins baissés à Ramallah.

A Washington, on est 'très choqué et attristé' par l'attentat. Le département d’État

'demande à toutes les parties de faire preuve de calme et de mettre un terme aux actes de violence afin que les discussions sur l'autonomie de la Cisjordanie et de Gaza puissent reprendre.

Des directeurs de journaux palestiniens déclarent :

' Le gouvernement israélien, par son attitude complaisante à l'égard des groupes extrémistes, porte une responsabilité dans la situation actuelle'

Tandis que M. Uri Avneri, député du parti Shelli, déclare :

'Il s'agit d'un moment, hélas, historique. Nous assistons à la naissance d'un mouvement clandestin fasciste israélien. ".

Mais le chef d’État major, Raphaël Eytan, minimise la portée des attentats. Pour lui,

il n'y a rien de très nouveau... il ne voit pas de raison particulière de croire que la " situation se trouve modifiée " en Cisjordanie (…) il souligne que depuis un siècle des affrontements n'ont cessé de se produire entre Arabes et juifs, et que cela peut durer ainsi pendant de nombreuses années encore...La situation n'a pas atteint le niveau de gravité de ce qui se passe à Belfast ou dans toute autre partie du monde. ".

L'attentat est revendiqué par le groupe 'terreur contre terreur'. Un dirigeant du Goush Emonim, le bloc de la foi, Le rabbin Levinger1, déclare :

qu'il " comprenait " les raisons des auteurs des attentats qui se sont produits lundi. Il a ajouté: " Nous ne devons pas faire justice nous-mêmes, mais je peux comprendre ceux qui ont commis ces actes. MM. Bassam Chakaa et Karim Khalaf avaient créé un climat qui encourageait le meurtre de juifs. ".

Pour tenter d'apaiser la tension qui règne, Begin prend contact avec le roi Hussein de Jordanie. Mais le sentiment que l'enquête piétine ravive ces tensions.

Le Conseil de sécurité est saisi et condamne Israël à l'unanimité, les États-Unis s'abstenant. Le Conseil

déplore " vivement " qu'Israël, " en tant que puissance occupante ", n'ait pas assuré " une protection adéquate à la population civile dans les territoires occupés<

En France, alors que Paris condamne les attentats,, M. Meir Rosenne, ambassadeur d'Israël à Paris, condamne lui-aussi

" de la manière la plus catégorique ", l'attentat dont ont été victimes les maires palestiniens de Cisjordanie et a souligne qu'il était persuadé que ceux qui ont commis ces actes seraient " traduits devant la justice et condamnés ".

Le CRIF (le Conseil représentatif des institutions juives de France) estime que " le vote de la terreur, contraire à la morale et aux traditions juives, ne peut que renforcer le camp de ceux qui s'opposent à la réconciliation israélo-arabe ".

En août, Le Maire de Naplouse, M. Shakaa fait une déclaration :

La terreur que font peser les autorités d'occupation depuis la signature des accords de Camp David, se poursuivra et s'intensifiera pour au moins deux raisons.

La première est évidente : Israël cherche à briser la résistance palestinienne à ce simulacre de règlement pacifique.

La seconde relève de la politique de colonisation du gouvernement Begin. C'est à la faveur de la répression - et peut-être demain de celle d'agressions contre le Liban ou la Syrie - qu'Israël multiplie les confiscations de terres palestiniennes, les implantations juives, les transferts de colons en Cisjordanie.

M. Begin cherche la confrontation et l'escalade. Mais qu'il ne s'y trompe pas : la violence suscite tout naturellement la résistance, passive ou active, et Israël risque de connaître un tour une conjoncture analogue à celle qui a entraîné la chute de la monarchie en Iran'

 

Les attentats de Baruch Goldstein en 1994 au caveau des patriarches puis l'assassinat de Rabin en 1995 montreront que l'extrémisme juif en Cisjordanie comme en Israël doit être pris en considération par les force de l'ordre. Au cours des ans, le mouvement s'installe et vise aussi bien des Palestiniens que des Juifs.


 

1 Levinger s'était installé à l’hôtel Park d'Hébron en avril 1968 et avait refusé de partir d'Hébron. Il avait ainsi obtenu l'autorisation pour des Juifs de se réinstaller dans la ville

 

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