[ Les décodeurs du journal le Monde 1 ]

Terrorisme : qu’est-ce que la « fiche S » ?

Contrairement à plusieurs idées reçues sur la « fiche S », cette dernière est d’abord un outil d’alerte pour les forces de l’ordre et non un motif d’enfermement.

Peu connue du grand public avant la vague d’attentats des trois dernières années, la « fiche S » (pour « sûreté de l’Etat ») est devenue un élément récurrent d’actualité. Mais qu’est-ce au juste ? Qui vise-t-elle ? Qu’implique-t-elle pour les personnes ainsi fichées ?

 

Plus de 400 000 noms

La « fiche S » n’est en réalité qu’une des nombreuses catégories d’un fichier vieux de plus de quarante ans : le fichier des personnes recherchées (FPR) - un terme générique puisque pour certaines catégories, il ne s’agit que de surveillance.

A l’exception des fiches « J » et « PJ », qui correspondent à des personnes recherchées par la justice ou la police, les fiches, y compris la « S », n’entraînent aucune action automatique de coercition à l’encontre d’une personne. Ces fiches ont surtout un rôle dans le cadre d’enquêtes, assure le ministère.

Créé en 1969, ce fichier comporterait plus de 400 000 noms, qu’il s’agisse de mineurs en fugue, d’évadés de prison, de membres du grand banditisme, de personnes interdites par la justice de quitter le territoire, mais aussi de militants politiques ou écologistes (antinucléaires, anarchistes, etc.).

Chaque catégorie possède une nomenclature, sous la forme d’une lettre : « M » pour les mineurs en fugue, « V » pour les évadés… Le FPR compte 21 catégories au total, selon la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qui en fournit une dizaine d’exemples :

« E » (police générale des étrangers) ;

« IT » (interdiction du territoire) ;

« R » (opposition à résidence en France) ;

« TE » (opposition à l’entrée en France) ;

« AL » (aliénés) ;

« M » (mineurs fugueurs) ;

« V » (évadés) ;

« S » (sûreté de l’Etat) ;

« J » et « PJ » (recherches de police judiciaire) ;

« T » (débiteurs envers le Trésor)…

 

Un fichier désormais européen

Cette fiche contient, selon le décret de 2010 en vigueur, l’état civil, le signalement, la photographie, les motifs de recherche, la conduite à tenir en cas de découverte et quelques autres détails.

On donc peut être fiché dans le FPR pour une foule de raisons : judiciaires (si on fait l’objet d’une interdiction de sortie de territoire ou à l’inverse d’une obligation de le quitter), administratives (immigré clandestin, personne disparue…), fiscales (si on doit de l’argent à l’Etat), mais aussi « d’ordre public » : si l’on est soupçonné de terrorisme, ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat, par exemple.

En outre, depuis la mise en place de Schengen, ce fichage n’est plus seulement français, mais européen : la plupart des pays membres de l’espace Schengen « versent » dans une base commune leurs fiches afin que les autres en bénéficient. Mais chaque pays peut également faire disparaître une fiche si elle l’estime caduque, la supprimant ainsi de toute la base de données.

« Menaces graves pour la sécurité publique »

C’est le plus souvent la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service du renseignement français, qui produit les fiches S. Mais une telle fiche peut être émise pour faire suite à des informations provenant d’autres pays ou dans le cadre de collaborations internationales : la personne visée peut ou non se trouver sur le territoire français.

 

Les fichés S peuvent être de simples relations d’un terroriste connu

Dans la plupart des catégories du FPR, le fichage est le plus souvent subséquent à une décision administrative, judiciaire ou fiscale : on est fiché « T » si le fisc s’intéresse à nous, ou « V » si on s’est évadé de prison. Le cas de la fiche S est particulier : il s’agit de personnes que l’on (la France ou un autre pays, puisque ce fichage est européen) soupçonne de visées terroristes ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat (ou de complicité), sans pour autant qu’elles aient commis de délit ou de crime. Elles peuvent ainsi être de simples relations d’un terroriste connu.

La loi est d’ailleurs floue à ce sujet : peuvent faire l’objet d’une fiche S toutes les personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ».

La fiche S est elle-même subdivisée en divers niveaux matérialisés par des chiffres, qui vont de « S1 » à « S16 ». Contrairement à ce qu’on a pu lire, explique le ministère de l’intérieur, ce niveau de chiffres ne correspond pas à la « dangerosité » d’une personne, mais plutôt aux actions à entreprendre pour le membre des forces de l’ordre qui contrôle cette personne. Ainsi, S14 correspond depuis peu aux combattants djihadistes revenant d’Irak ou de Syrie.

Mais un hooligan, un manifestant altermondialiste régulier ou un opposant actif à la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes peut se retrouver fiché S au même titre qu’un combattant djihadiste connu par les services de renseignement de dizaines de pays.

Impossible d’arrêter quelqu’un en raison d’une fiche S

S’il arrive qu’une personne soit « fichée S » dans le cadre d’une enquête et surveillée à ce titre, le fait d’être fiché n’entraîne, pour les autorités, aucune obligation de suivi ou de surveillance. On l’a dit, des fiches S sont émises sur transmission de renseignements provenant d’autres pays, sans que les personnes concernées soient forcément en France.

Dans la communauté du renseignement, on parle de 5 000 personnes qui feraient l’objet d’une telle fiche. Le ministère admet qu’il y a en réalité un nombre supérieur de fichés S, sans souhaiter communiquer le chiffre complet. En 2016, selon nos informations, environ 20 000 personnes étaient fichées S, dont près de 12 000 pour un lien avec l’islamisme radical. Ces personnes ne se trouvent pas nécessairement en France et ne sont pas obligatoirement françaises.

En réalité, la fiche S a surtout un rôle d’alerte : en cas de contrôle d’identité, ou à un aéroport, par exemple, elle signale aux forces de l’ordre que des soupçons pèsent sur l’individu contrôlé, et que tout renseignement que l’on pourra obtenir est précieux. Mais on ne peut pas arrêter quelqu’un, et encore moins l’expulser, au simple motif qu’il a une fiche S, contrairement à ce qu’avance Marine Le Pen. Cela reviendrait à expulser toutes les personnes placées sur écoute par la justice au motif qu’elles sont sur écoute.

 

Une fiche temporaire

Faire l’objet d’une fiche S ne signifie pas non plus que l’on fait l’objet d’une surveillance active, mais qu’on a été, à un moment, soupçonné, pour des raisons qui peuvent être très diverses, de vouloir porter atteinte aux intérêts de l’Etat.

C’est donc une autre pierre dans le jardin des tenants de l’arrestation ou de l’expulsion des personnes fichées S : le plus souvent, ces dernières ne le savent pas, puisque cette catégorie est couverte par le secret défense.

Dans bien des cas, le but du renseignement est de remonter des filières et de trouver d’autres contacts ; en somme, de procéder à des surveillances discrètes. En clair, prévenir un terroriste soupçonné qu’il fait l’objet d’une surveillance en lui mettant un bracelet électronique n’est pas forcément une méthode efficace pour l’empêcher de nuire (ou empêcher ses complices d’agir).

Toutefois, ce mode de fonctionnement a un défaut : les fiches du FPR (et notamment les fiches S) sont temporaires. Si une personne fichée ne commet aucune infraction et se fait oublier, sa fiche sera effacée au bout d’un an. C’est ce qui s’est produit pour Yassin Salhi, l’homme qui avait décapité son patron en Isère en 2015 : il avait été fiché S pendant deux ans, avant de disparaître du fichier.

Samuel Laurent

 

1Par Samuel Laurent Publié le 31 août 2015 à 14h37 - Mis à jour le 14 mai 2018 à 11h20

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