Le Cambodge à l'époque coloniale

 

1863-1953 : La France est présente au Cambodge. 

 

1863-1884 : Le protectorat exercé par la France au Cambodge consiste essentiellement en un appui au roi Norodom dont elle permet le couronnement à Oudong, au grand mécontentement du Siam.

 

1866 : Le capitaine de frégate Doudart de Lagrée reçoit pour mission d’aller découvrir les sources du Mékong. 

1866 : Sous l’influence de la France, le roi et la cour se rétablissent à Phnom Penh où un nouveau palais est construit. 

Pendant la décennie 1860, la France doit réprimer des révoltes. Il s'agit de tentatives sécessionnistes qui se répètent à l’est du Mékong, une région dont les provinces apportent leur soutien au frère rebelle du roi, Ang Sivotha, qui revendique toujours le pouvoir. 

 

1867 : Le Siam annexe les provinces de Battambang et de Siem Reap, sans que les Français réagissent.

 

De 1870 à 1914, plusieurs régions du bas-Cambodge, peuplées de Cambodgiens, sont cédées au royaume d'Annam (l'actuel Vietnam), sans que les Français se préoccupent de l’intégrité du territoire khmer, à la grande déception du souverain. 

 

1884-1904 : La France tente de renforcer son emprise sur le Cambodge, sans tenir compte des résistances de l’élite locale et de la population. 

1884 : La France cherche depuis plusieurs années à réformer la gestion du royaume mais doit faire face à l'opposition de la cour et des fonctionnaires. Jugeant le roi responsable de cette résistance, elle le laisse sur le trône tout en le dépouillant de ses prérogatives traditionnelles. Il ne reste plus qu’un souverain fantoche, impuissant devant les réformes imposées par la puissance coloniale. Ces dernières sont multiples, de la diminution de certains impôts au recrutement des fonctionnaires, en passant par la participation de la population à la politique par l’élection des chefs locaux ou encore la suppression de l’esclavage et la distribution des terres qui, jusque là, appartenaient toutes au roi. Ces mesures sont mises en œuvre sous la surveillance de résidents français, placés sous l’autorité d’un résident supérieur dont le pouvoir surpasse celui du roi. 

Fin 1884 : Insurrection générale pour protester contre les réformes imposées par les autorités françaises. Elle se prolonge jusqu’en 1887, date à laquelle un accord garantissant au roi un minimum d'indépendance est finalement conclu. La France, déçue de ne pas avoir trouvé au Cambodge les richesses escomptées, privilégie dès lors la Cochinchine. Quant aux fonctionnaires français présents au Cambodge, ils font de plus en plus appel à un personnel vietnamien auquel ils attribuent plus de qualités qu’aux Khmers. Ces derniers n’en sont que moins favorables aux Français. 

 

1887 : Naissance de l’Union indochinoise qui regroupe le Laos, le Cambodge, l’Annam, la Cochinchine et le Tonkin. Le Laos et le Cambodge se trouvent ainsi englobés dans une fédération où leurs habitants sont nettement minoritaires face aux Vietnamiens.

 

1898 : Création de l’Ecole française d’Extrême-Orient.

 

1904-1927 : Règne de Sisowath, frère du roi défunt dont le fils a été écarté du pouvoir par les Français. La France met désormais en œuvre une véritable politique coloniale.

 

1907 : Les provinces de Battambang et de Siem Reap reviennent dans le giron cambodgien. 

 

1916 : Les paysans se rendent par dizaines de milliers à Phnom Penh pour protester auprès du roi contre les impôts qui les assaillent. 

 

1917 : Fondation de l’Ecole des arts cambodgiens. 

 

1921 : Le premier recensement estime la population cambodgienne à 2 403 000 habitants mais les Vietnamiens représentent plus de 60 % des habitants de Phnom Penh. Ils sont aussi nombreux dans les campagnes peu peuplées où ils occupent souvent les meilleures terres. La France n’a pas rempli sa mission de protection du Cambodge face aux immigrations étrangères. Les Chinois, également nombreux, pratiquent sans vergogne l’usure auprès des Cambodgiens qui souffrent d’un endettement chronique. Ce sont en effet les paysans autochtones qui paient le plus d’impôts tandis que les bonzes, les fonctionnaires et les militaires en sont exemptés. 

 

1925 : Naissance de Saloth Sar, futur Pol Pot, dans une famille de huit enfants.

 

1927-1941 : Règne de Monivong, fils de Sisowath.

 

1930 : Création de l’Institut bouddhique de Phnom Penh. 

 

1936 : Apparition d’une nouvelle revue en langue khmère, Nagara Vatta dont les auteurs critiquent l’inaction française face à l’avidité vietnamienne et chinoise. En parallèle se forment des réseaux de résistance au lycée Sisowath de Phnom Penh et à l’Institut bouddhique. 

 

1941 : Les Français choisissent le prince Sihanouk, arrière-petit-fils de Norodom, pour succéder à Monivong dont les descendants sont écartés du pouvoir. 

1941 : Sous la pression japonaise, la France concède les provinces de Siem Reap et de Battambang à la Thaïlande. La même année, les Japonais déploient 8 000 hommes au Cambodge, avec pour mot d’ordre : l’« Asie aux Asiatiques ». L’idée se répand et fait des émules, notamment dans les milieux religieux où l’on commence à évoquer un renversement du pouvoir. 

 

Juillet 1942 : Arrestation du bonze Hem Chieu, l’un des meneurs de la lutte anti-française. Elle donne lieu à une manifestation de protestation qui se solde par l’arrestation des rédacteurs de Nagara Vatta. La répression conduit de nombreux manifestants au bagne de Poulo Condor, en Cochinchine, où ils entrent en contact avec des membres du Parti communiste indochinois (PCI). 

 

1943 : Mort de Hem Chieu à Poulo Condor. Le bonze est par la suite considéré comme le premier héros de la lutte indépendantiste. 

1943 : Projet de romanisation de l’alphabet khmer, au grand mécontentement de la population et, particulièrement, des religieux. 

11 Mars 1945 : Les Japonais remercient les administrateurs français tandis que le roi Sihanouk décrète l’indépendance du Kampuchéa et installe un gouvernement appelé à durer quelques mois, jusqu’à l’arrivée des Alliés qui mettent fin à cette expérience indépendantiste. Des partisans du nationaliste Son Ngoc Thanh rejoignent alors le mouvement des Khmers issaraks, qui signifie « Khmers libres », présent dans le Nord-Ouest du pays. Ces nationalistes prônent la lutte armée pour conquérir l’indépendance et ont installé les premiers maquis à Païlin, non loin de la frontière thaïlandaise.

 

De la décolonisation aux Khmers rouges

1945 : La dissolution du Parti communiste indochinois donne naissance à trois partis nationaux, dont le Parti révolutionnaire du peuple khmer (PRPK). Sous l’influence de Son Ngoc Minh et de Tou Samouth, ralliés aux Khmers issaraks, est créé un Comité central exécutif national khmer puis un gouvernement provisoire.

 

1946 : Après y avoir rétabli son autorité, la France autorise la création de partis politiques au Cambodge. Plusieurs voient rapidement le jour. 

Septembre 1946 : Les élections pour la création d’une Assemblée nationale voient la victoire des démocrates parmi lesquels on compte des fonctionnaires, des enseignants, d’anciens lecteurs de Nagara Vatta ou des électeurs adhérant aux idées des Issaraks. 

 

1947 : La Thaïlande restitue les provinces de Battambang et de Siem Reap au Cambodge. 

1947 : La constitution, élaborée par les démocrates, n’accorde qu’un rôle de second plan à Sihanouk, ce qui n’est pas du goût du jeune souverain qui, en œuvrant en faveur de l’indépendance de son pays, a su s’imposer dans le paysage politique national.

 

1949 : La France accorde un semblant d’indépendance au Cambodge. 

1949 : Arrivée de Saloth Sar en France pour poursuivre ses études. 

 

1950 : On dénombre environ 220 000 Chinois dans la population de Phnom Penh. 

Années cinquante : Alliance entre les Khmers issaraks et les troupes du Viêt-minh, la Ligue pour l’indépendance du Viêt Nam, constituée de communistes vietnamiens originaires en majorité du Nord. 

1950 : Voyage de Saloth Sar en Yougoslavie. La même année, il fonde le Cercle marxiste des étudiants khmers. 

 

1951 : Sihanouk renvoie son gouvernement, suspend la constitution et se proclame Premier ministre. 

1951 : Fondation du Parti révolutionnaire du peuple khmer (PRPK), issu de la scission du PCI.

Juillet 1951 : La participation de Thiounn Mounn, Sien An, Ieng Sary au « festival de la Jeunesse » à Berlin constitue pour eux une expérience internationaliste. Ils y font également la connaissance de la délégation du Viêt-minh et de Cambodgiens qui combattent les Français en Indochine. 

 

15 juin 1952 : Sihanouk dissout le gouvernement du démocrate Huy Kantoul. Dénoncé comme un coup d’Etat, cet acte pousse certains Cambodgiens présents en France à adhérer au PCF. 

1952 : Saloth Sar se voit retirer sa bourse d’études pour agitation et échec scolaire. Fin décembre, il embarque sur le SS Jamaïque, à bord duquel il était arrivé en France, et retourne dans son pays. 

 

1953 : Sihanouk dissout l’Assemblée nationale et décrète la loi martiale. Il attribue le titre de régent à son père, Norodom Suramarit, et se rend en France afin de négocier une indépendance totale du Cambodge. 

Juillet 1953 : La France, affaiblie par le conflit vietnamien, concède de très nombreuses prérogatives au Cambodge dans les domaines de la défense nationale, de la justice, de l’intérieur, des affaires étrangères et des finances. La population en est particulièrement reconnaissante à son roi qu’elle considère comme un héros de l’indépendance.

9 novembre 1953 : Date choisie par les Cambodgiens pour commémorer leur indépendance. 

1953 : Retour au Cambodge de Saloth Sar, le futur Pol Pot, après un séjour de quatre années en France. Il rejoint immédiatement les Issaraks et les Viêt-minhs dans les maquis. Cette arrivée précoce lui permet par la suite de prendre la tête du PRPK. 

 

Juillet 1954 : Traité accordant l’indépendance au Cambodge, ratifié à la conférence de Genève. 

1954 : Indépendance du Vietnam, les combattants indépendantistes n’ont alors plus de raison de poursuivre le combat et quittent le Cambodge. Les relations se dégradent véritablement entre communistes khmers et vietnamiens, certains comme Ieng Sary, Son Sen et Saloth Sar accusant ces derniers d’avoir sacrifié la cause khmère à leurs propres intérêts. 

 

1955 : Naissance du parti du Peuple créé par Sieu Heng, Saloth Sar et Tou Samouth. Saloth Sar poursuit ses visites dans le maquis, se plaçant ainsi à la tête des petits groupes qui y subsistent. Toutes ces activités ont lieu dans le plus grand secret.

27 février 1955 : Abdication de Sihanouk en faveur de son père. Il crée alors le Sangkum Reastr Niyum ou Communauté socialiste populaire, et se présente aux élections, chose interdite à un roi. Il se défend de fonder un parti à caractère politique. Son mouvement a pour but de lutter contre la corruption et pour la justice, de soutenir la royauté et de défendre les droits du petit peuple cambodgien. Cette stratégie, associée à des mesures d’intimidation lors des élections, est payante, puisque Sihanouk remporte 83 % des suffrages ainsi que l’ensemble des sièges de l’Assemblée nationale. Il écarte ainsi pour de longues années le parti du Peuple et répète son succès électoral en 1962 et en 1966. Il doit sa popularité à la relation très paternaliste qu’il entretient avec son peuple auquel il rend visite dans les campagnes, à sa volonté réformatrice, mais se maintient aussi au pouvoir grâce à son charisme autoritaire. Il fait entrer certains ministres de gauche, de futurs Khmers rouges, au sein de son gouvernement. 

1955 : Le Cambodge rallie le camp des pays non-alignés lors de la conférence de Bandung et devient membre de l’ONU. Sihanouk se rapproche des pays socialistes, ce qui dérange ses adversaires politiques, notamment les communistes. 

1958 : Saloth Sar se hisse à la tête de la cellule communiste de Phnom Penh dont les services de police de Sihanouk ne connaissent pas l’existence. 

 

1959 : La trahison de Sieu Heng met fin à l’existence des cellules communistes clandestines de province, toutes démantelées par le pouvoir. 

 

1960 : Sihanouk met en avant son désir de neutralité alors que la guerre du Vietnam menace ses frontières. Il tente d’obtenir des garanties de la Chine, du Nord-Vietnam et des Etats-Unis. Ces derniers lui apportent une aide militaire dès 1960, mais les Cambodgiens s'agacent de l'attitude arrogante de leurs interlocuteurs américains. 

Avril 1960 : A la mort du roi Suramarit, Sihanouk prend le titre de chef de l’Etat et confère le titre de régente à sa mère, la reine Kossamak. Maintenant, le Cambodge devient une monarchie qui fonctionne sans roi. 

Juin 1960 : Sihanouk organise un référendum populaire pour se faire élire roi. La victoire lui est assurée. 

30 Septembre 1960 : Congrès de fondation du Parti des travailleurs khmers (PTK), héritier du Parti révolutionnaire du peuple cambodgien fondé en 1951 et qui est l’équivalent du Parti communiste cambodgien. Le Congrès élit le comité central constitué de Tou Samouth, Nuon Chea, Saloth Sar et Ieng Sary et choisit la voie de la violence révolutionnaire. La réunion se tient dans le plus grand secret. Deux partis communistes se concurrencent désormais : celui de Hanoï et celui de Phnom Penh. Les Khmers rouges considèrent cette date comme celle de la naissance du premier parti communiste cambodgien autonome, à la différence du parti créé sous influence vietnamienne. La rupture entre membres des deux groupes sera consommée en 1976. 

 

1961 : Suspension des relations diplomatiques avec la Thaïlande, coupable de violations des eaux territoriales et à l’origine d’incidents sur la frontière. La Thaïlande apporte par ailleurs son soutien au développement des mouvements des Khmers issaraks et des Khmers serei, opposants politiques déclarés de Sihanouk. 

 

Mai 1962 : Disparition mystérieuse de Tou Samouth, remplacé dès 1963 par Saloth Sar au poste de secrétaire du comité central du PTK. 

1962 : Le recensement estime la population cambodgienne à 5 740 000 personnes, dont plus de la moitié âgée de moins de vingt ans. 

 

1963 : Rupture des relations diplomatiques avec le Vietnam à propos de la situation des Khmers krom qui, chassés de leurs terres par les Vietnamiens, se réfugient en masse au Cambodge jusqu’en 1970.

1963 : Pacte militaire conclu entre le Cambodge et la Chine, assorti d’un accord secret de soutien aux Viêt-minhs. 

1963 : Sihanouk annule le programme d’aide américaine qui avait assuré une croissance économique de 8 % par an jusqu’en 1962. Aucun pays ne lui apporte par la suite une aide comparable à celle des Américains qui, associée à l’investissement du roi en faveur de la modernisation du pays, avait engendré un développement et une prospérité économiques que le Cambodge est bien en peine de maintenir. La fin des aides américaines marque le début d’un déclin que rien ne peut enrayer et qui s’aggrave durant la décennie 1960. 

1963 : Nationalisation des banques et du commerce d’import-export. La mesure s’avère toutefois inefficace, notamment en raison de la corruption de nombreux fonctionnaires, et le pays s’enlise dans la crise. Les étrangers se voient découragés d’investir au Cambodge. 

Mai 1963 : Les communistes, nommés plus tard Khmers rouges par Sihanouk, débutent leur entraînement dans le Nord-Est du pays, à la frontière vietnamienne. Les dirigeants du Parti communiste cambodgien, menacés par Sihanouk, quittent la capitale pour rejoindre le maquis de la frontière vietnamienne où ils tentent de recruter des partisans au sein de la paysannerie. Les partis-frères refusent de leur prêter les équipements nécessaires à la lutte contre Sihanouk et, en 1965, les Vietnamiens leur conseillent une alliance avec le roi, ce que les cadres Khmers rouges considèrent comme une trahison. 

 

Avril 1965 : Rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis tandis que les liens avec la Chine, qui fournit des armes, ne cessent de se renforcer.

1965 : Sihanouk autorise la guérilla nord-vietnamienne à établir des bases au Cambodge afin de poursuivre la lutte contre les forces américaines au Sud-Vietnam. 

1965-1966 : Voyage de Saloth Sar et d’autres dirigeants Khmers rouges en Chine, au Nord-Vietnam et en Corée du Nord. 

 

1966 : Les conservateurs sortent vainqueurs des élections législatives

30 août-2 septembre 1966 : Voyage au Cambodge du général De Gaulle qui y prononce le fameux discours de Phnom Penh, dans lequel il prend position contre l'intervention américaine au Viêt Nam. 

1966 : Second congrès des communistes cambodgiens qui adoptent pour leur mouvement le nom de Parti communiste du Kampuchéa, inspiré de la Chine alors en pleine révolution culturelle. 

 

1967 : Les spéculateurs cambodgiens fournissent désormais les Viêt-congs, les Vietnamiens communistes du Sud, en armes, en médicaments et en riz. C’est ainsi que le quart de la production de riz s’évapore du pays. Sihanouk ordonne alors à l’armée de contrôler les moissons, ce qui provoque des abus de la part des militaires et une révolte des paysans de Samlaut, dans la province de Battambang. Fin mai, la révolte est écrasée après que la répression a fait au moins 10 000 victimes. De nombreux paysans trouvent refuge auprès des Khmers rouges. Khieu Samphan, très populaire auprès de la population notamment pour son intégrité, se voit accusé par Sihanouk d’avoir fomenté la révolte. Il quitte alors la capitale et se réfugie secrètement dans le Nord-Est où il rejoint Saloth Sar. 

A la fin de la décennie 1960, les campagnes demeurent très majoritairement favorables à Sihanouk, ce qui n’est pas le cas des villes. L’armée, très fidèle au général Lon Nol, accepte mal la diminution des budgets causée par l’arrêt des aides américaines. Le pays compte de nombreux mécontents et le soutien de Sihanouk aux communistes vietnamiens n’est pas pour apaiser les inquiétudes de la droite d’affaires et des militaires. 

 

1968 : Les Khmers rouges lancent la lutte armée. Les maquis ne cessent de se renforcer : 7 000 recrues rejoignent leurs rangs entre 1968 et 1970. 

1968 : Le gouvernement dit « de la dernière chance » est mis en place par Sihanouk qui sent la situation lui échapper. 

 

1969 : Campagne de bombardements américains sur les forces nord-vietnamiennes présentes sur le sol khmer.

1969 : Rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Sihanouk se rend compte du danger représenté par les communistes, mais trop tard. Son alliance avec les Vietnamiens a été vécue comme une trahison par son peuple. Sa réputation est entachée par la corruption qui n’épargne ni sa famille ni celle de son épouse, par ailleurs peu appréciée.

1969 : Le général Lon Nol est placé à la tête du gouvernement « de sauvetage ».

 

Mars 1970 : Manifestations antivietnamiennes dans la province de Svay Rieng où les villageois jugent la présence du Front national de Libération trop pesante. Elles prennent la forme d’émeutes quelques jours plus tard à Phnom Penh où les ambassades vietnamiennes sont saccagées. 

18 mars 1970 : Le cousin et rival de Sihanouk, le prince Sisowath Sirik Matak, fait proclamer par l’Assemblée nationale la « patrie en danger » et obtient la déchéance du chef de l’Etat, alors en vacances en France. Tandis que Lon Nol conserve le poste de Premier ministre de cette nouvelle république, Sirik Matak s’installe au gouvernement pour le seconder. La population voit tout d’abord ce coup d’Etat d’un œil favorable. Les paysans ne tardent cependant pas à organiser des manifestations de soutien à Sihanouk, sévèrement réprimées par l’armée. 

23 mars 1970 : Conseillé par Chou En Lai et depuis Pékin où il est réfugié, Sihanouk annonce la déposition du général Lon Nol ainsi que la dissolution de l’Assemblée. Il appelle son peuple à le rejoindre au sein du Front uni national du Kampuchéa (FUNK), crée le Gouvernement royal uni du Cambodge (GRUNK) et l’armée de libération nationale afin de renverser les ennemis, accusés de trahison. Son appel est entendu par les royalistes et certains intellectuels qui viennent s’ajouter aux quelques 3 000 ou 4 000 Khmers rouges qui ont paradoxalement rejoint leur ancien ennemi. 

Mars 1970 : L’ordre de Lon Nol d’expulser les troupes viêt-congs sous deux jours aboutit à des violences contre les Vietnamiens dont au moins 12 000 trouvent la mort. Hanoï réplique immédiatement par l’invasion du Cambodge et en apportant son soutien à Sihanouk. L’armée de Lon Nol, composée pour l’essentiel de civils volontaires mal formés, ne pèse que peu. 

Mars-Octobre 1970 : Le pays porte le nom d’Etat du Cambodge.

Avril 1970 : Les Khmers rouges commencent à obtenir des succès auprès des paysans dont quelques centaines les rejoignent après avoir entendu l’appel de Sihanouk. Des personnages tels que Khieu Samphan, Hou Yuon et Hu Nim contribuent à crédibiliser le mouvement en apparaissant comme ministres du FUNK alors qu’ils ne partagent pas les idées marxistes. Entre 1970 et 1975, les effectifs des Khmers rouges passent de quelques centaines voire quelques milliers à 15 000 puis 60 000. Bien sûr, le soutien de Sihanouk n’est qu’un instrument aux mains des combattants communistes. Alors que Khieu Sampham, Hou Yuon et Hu Nim sont sur le devant de la scène, Saloth Sar, Nuon Chea et Son Sen restent dans l’ombre et parviennent à faire oublier qu’ils sont les véritables dirigeants du parti dont l’existence demeure secrète jusqu’en 1977 alors qu’ils gouvernent le pays depuis déjà deux ans. Il est difficile de comprendre comment ces hommes sont parvenus pendant si longtemps à dissimuler leurs convictions communistes. 

Fin avril 1970 : Bombardements américains pour tenter de freiner l’avancée des Viêt-congs, alliés aux Khmers rouges. De nombreux villages khmers sont alors détruits. 

Juin 1970 : Le Nord-Est du Cambodge, soit près du tiers du pays, est sous la domination des Nord-Vietnamiens qui ne cessent de progresser. 

Octobre 1970 : Proclamation de la République khmère qui perdure jusqu’en 1975. Le premier gouvernement comporte de nombreux Khmers serei et issaraks. Lon Nol, désormais maréchal, y est toujours présent bien que très affaibli par une attaque cérébrale. Il fait appel aux forces sud-vietnamiennes qui répondent aux pogroms commis en mars par des massacres. 

Octobre 1970 : Sihanouk est condamné à mort par contumace. 

De 1970 à 1975 ont lieu des affrontements entre les forces américaines, alliées aux Sud-Vietnamiens, et les communistes dont l’implantation à l’ouest et au centre du Cambodge ne cesse de se renforcer. Cette guerre civile se solde par la mort de plusieurs centaines de milliers de Khmers : au moins 300 000 dans le camp des civils et de Lon Nol et peut-être 250 000 parmi les Khmers rouges et les populations qu’ils contrôlent. Ces chiffres ne sont que des estimations qui n’ont jamais pu être confirmées avec certitude. 

De 1970 à 1975 : Huit gouvernements se succèdent, dans un climat d’instabilité et de corruption. Les officiers et les commerçants de Phnom Penh se livrent à des spéculations sur le riz et les autres denrées de première nécessité dont ils tirent des revenus substantiels qui leur permettent une vie d’opulence qui jure avec celle des paysans et des simples soldats. Le peuple est naturellement attiré par les Khmers rouges qui ne semblent pas corrompus. 

Les combats qui font rage dans tout le pays provoquent de nombreux déplacements de Cambodgiens qui s’entassent dans les bidonvilles de Phnom Penh. La population de la capitale fait plus que tripler entre 1970 et 1975, pour atteindre plus de deux millions d’habitants sur un total de 7 millions au Cambodge. 

 

1971 : Destruction de l’aviation khmère par les Viêt-congs qui mènent la guerre devant les Khmers rouges, moins expérimentés et moins bien équipés, jusqu’en 1972.

1971 : Les Khmers rouges divisent le Cambodge en six zones militaires et administratives contrôlées chacune par un secrétaire qui gère la population et l’armée. Cela aboutit à la formation de six partis dirigés par six secrétaires autonomes que Pol Pot et Ieng Sary ont par la suite des difficultés à fédérer sous leur commandement. Dans les régions aux mains des Khmers rouges, dites « libérées », la collectivisation des campagnes débute et des coopératives voient le jour. Chacun est invité à se remettre en question lors de séances d’autocritique et à croire en la puissance et en l’infaillibilité de l’Angkar qui signifie « l’Organisation » et qui est l’organe de gouvernement créé par les Khmers rouges. Toute référence au parti est formellement proscrite tandis que critiquer l’Angkar est passible de la peine de mort. Si les paysans apprécient l’aide et la considération des Khmers rouges à leur égard, ils ne comprennent en revanche rien aux principes socialistes et sont franchement hostiles à la collectivisation. 

 

Mars 1972 : Lon Nol accède à la présidence de la République après un coup de force contre l’Assemblée. Il fait réprimer par l’armée les manifestations des étudiants qui contestent son action et s’aliène alors une bonne part de ses soutiens qui se tournent vers le FUNK. Des élections présidentielles truquées le confirment dans ses fonctions de président en juin de la même année. 

Mars 1972 : Les tirs de roquette sur la capitale font de nombreuses victimes parmi les réfugiés. Les récits d’atrocités commises par les Khmers rouges rapportés par les déplacés laissent les Occidentaux sourds et sceptiques.

1972 : Les voies de communication et les infrastructures ayant été la cible de destructions massives, il est de plus en plus difficile d’assurer le ravitaillement de la capitale où la misère et la maladie gagnent du terrain, sans retenir l’attention du gouvernement républicain. Certaines provinces, telles que celle de Battambang, sont totalement coupées du reste du pays et uniquement accessibles par voie aérienne. 

 

27 janvier 1973 : Les accords de paix de Paris mettent fin à la guerre du Vietnam dont les troupes sont sommées de quitter le Cambodge. Cependant, les Khmers rouges refusent de reconnaître le traité et poursuivent les offensives contre les forces républicaines sans l’aide des Viêt-congs qu’ils considèrent plus que jamais comme des traîtres. Ils mènent des opérations-suicides et parviennent à duper les républicains, persuadés que les amulettes de leurs ennemis sont plus efficaces et puissantes que les leurs. Les Vietnamiens vivant au Cambodge font rapidement les frais de cette prétendue trahison : nombre d’entre eux sont éliminés par les Khmers rouges tandis que l’approvisionnement en riz leur est rendu très difficile. Soutenant le gouvernement de Lon Nol, les Américains refusent la proposition de pourparlers de Sihanouk et les plus riches habitants de Phnom Penh commencent à fuir le pays. 

Dès 1973, les Khmers rouges pratiquent des déplacements de population dans les régions dites « libérées ». Par décision de l’Angkar, les individus originaires de petites bourgades et de villages sont regroupés dans des coopératives et chargés de défricher et de cultiver de nouvelles terres. On pratique le travail forcé dans les coopératives qui ressemblent à des camps militaires et qu’il est interdit de quitter sous peine de mort. Le système fonctionne par la terreur : les éventuels récalcitrants disparaissent brusquement et sont éliminés. Lorsque Sihanouk se rend dans les régions « libérées », les Khmers rouges se gardent bien de le mettre au contact avec les populations qui y vivent. 

 

1974 : Les cadres formés à Hanoï, dits « Khmers viêt-minhs », sont placés en camps de rééducation et soumis à des purges dans lesquelles ils disparaissent.

1974 : Toutes les voies de terre reliant la capitale au reste du Cambodge sont coupées, l’année suivante, c’est également le cas du Mékong. Les Khmers rouges intensifient leurs assauts pour s’emparer de Phnom Penh et se rendre ainsi maîtres de tout le pays. 

Mars 1974 : La prise d’Oudong par les forces communistes donne lieu à la déportation de ses 20 000 habitants et au massacre de l’ensemble de ses fonctionnaires. 

Avril 1975 : Les Américains, exigeant la démission de Lon Nol, sont la cause de la capitulation devant les Khmers rouges. Ils s’entendent avec la Chine pour rétablir Sihanouk au pouvoir. Cependant, sous la pression des Khmers rouges, la Chine manque à ses promesses.

 

17 avril 1975 : Les troupes des Khmers rouges investissent la capitale. Il s’agit de très jeunes soldats d’une quinzaine d’années, armés par les Chinois. 

Alors que tous fêtent la fin de la guerre, les Khmers rouges se rendent peu à peu maîtres de la ville qu’ils vident de la totalité de ses habitants en quelques heures, prétextant la menace de bombardements américains. Des millions d’individus se mettent en route sous une accablante chaleur, ignorant tout du sort terrible qui les attend. Les Khmers rouges s’apprêtent à instaurer à l’échelle nationale le système des coopératives. Pour eux, la ville porte le mal en elle. De plus, le faible nombre de cadres Khmers rouges leur fait redouter d’éventuelles insurrections urbaines qui renverseraient leur pouvoir. Mieux vaut donc à leurs yeux évacuer totalement les cités d’autant que les travaux de reconstruction seraient selon eux trop coûteux. En fait, ne pas rétablir les divers réseaux de communication, de transports et de téléphone permet de mieux contrôler la population. Cette déportation s’accompagne de massacres ciblés de militaires et fonctionnaires de la République khmère.